Les pitreries de Chacha, le petit chat des sables qui occupait constamment sa chambre, et qu’elle avait fini par adopté puisqu’il était impossible de s’en débarrasser, avait adouci la fin de journée, complété par un brossage en règle de sa longue pelure. À la nuit tombée, elle avait trouvé le sommeil sans trop de difficulté, mais il s’avéra agité et l’emmena dans un rêve, perdu, au milieu du désert. Elle se réveilla en sursaut. Elle n’avait plus envie de dormir. Son cerveau avait regroupé plusieurs passages de ces dernières semaines en un puzzle dont même le réveil ne parvenait pas à enlever l’odeur désagréable.
Bien réveillée, elle finit par se lever, enfila une robe légère et descendit dans la grande cour se rafraichir à l’eau qui courait, invariablement, quelle que soit l’heure du jour ou de la nuit. La lumière de la lune, ronde, la surprit et elle se prit à observer de l’intérieur les coursives de ce palais aux couleurs changeantes sous les rayons clairs et doux. Quelques gardes surveillaient les mouvements nocturnes, avec la délicatesse de ne pas perturber les visiteurs nocturnes comme elle. Le bruit de l’eau, les rayons de la lune, la douceur de l’architecture, tout ici la calmait. Elle se sentait en sécurité même s’il n’était pas simple de se l’avouer. Un hululement traversa l’air sans perturber une seconde le décor. Mirette leva les yeux, et sans y penser, se dirigea vers le grand escalier. Malgré une allure lente, elle finit par se retrouver tout en haut, devant la porte portant un panneau :
Grand-duc de La Houpe
Bibliothécaire, Savant, Autre
Ouvert de Minuit à 5 h
Prêt de document sur demande.
En se retournant, Mirette admira la vue plongeante sur la rue et la place centrale. Le ruisseau était à peine visible. Elle reconnut sur le versant opposé l’endroit où Fleck et elle avaient discuté la veille. Elle entra. La salle était petite, tout en arrondis, des livres encombraient les murs et les tables.
— Bonsoir.
Mirette leva les yeux pour apercevoir dans la pénombre un grand hibou qui la scrutait de ses yeux ronds, rondeur surlignée par un monocle cerclé d’argent.
— Bonjour, Monsieur De La Houpe. Mirette se sentit stupide. Elle ne savait pas vraiment ce qu’elle était venue chercher, poussée ici par un rêve stupide.
Peu importait, Mirette allait découvrir rapidement qu’il n’était pas besoin de savoir ce qu’on voulait, le grand-duc le savait avant vous.
— Je pensais bien que vous viendriez. J’ai préparé des documents sur la table à l’étage. Vous ne serez pas dérangés.
— Très bien. Je vous en remercie.
Le grand-duc eut la délicatesse de faire semblant de ne pas percevoir la surprise de sa visiteuse. Le premier étage ressemblait à celui qu’elle venait de quitter. Il y avait peut-être même un peu plus de fatras, si cela était possible. Au fond de la salle se trouvait une petite table, plutôt mieux rangée que les autres et avec une lampe allumée. Elle s’installa. Trois livres l’attendaient : « L’histoire de la Palantine, guerre et paix d’une région » par les frères Viscaches ; « Mille et une histoires du pays aride » et enfin « la grande famille des félins : tous cousins ? ».
Elle ouvrit ce dernier volume, laissant les autres de côté. Le livre regroupait chaque famille sur plusieurs pages, il était richement illustré de dessin et d’anecdotes. Elle reconnut dans les premières pages une image de chat des sables, le portrait craché de Chacha, pensa-t-elle en souriant. Elle s’émerveilla ensuite devant les illustrations d’une panthère de toute beauté, elle avait été, parait-il, un bandit de grand chemin des dizaines d’années auparavant. Elle passa rapidement sur les tigres, leurs pattes gigantesques ne l’avaient jamais trop rassuré, et ils avaient terriblement mauvaise réputation, tenancier de bar et autres activités de voyous étant leurs principales occupations. Enfin elle arriva sur le chapitre des Lynx. Elle leva la tête pour être sûre de ne pas être observée, et tourna précautionneusement les pages. Lynx des neiges, des sables, des forêts… la description complète était accompagnée comme pour les autres de dessins et de la description des principaux personnages marquants de l’Histoire. Elle fut soulagée de reconnaitre l’image de sa mère sur la page des lynx des forêts et sentit quelque chose se détendre dans ses tripes. Ce portrait lui ressemblait vraiment, et si sa mère était une lynx des forêts, il faudrait bien qu’ils admettent tous qu’elle aussi. Et qu’ils cessent de la traiter de caracal, malgré ses traits plus colorés que la moyenne.
Mais à y regarder de près, ce portrait était une copie conforme du tableau représentant sa mère affiché au palais. Elle sentit revenir la boule dans son ventre. La légende indiquait « Éléonore Dutilleul, meneuse de la rébellion des félins ». Un paragraphe plus bas expliquait comment les lynx des forêts s’étaient alliés aux autres félins pour faire tomber la dynastie des loups, et comment ils avaient échoué. Mirette connaissait l’histoire, Fenhrir lui racontait souvent comment son père avait maté la rébellion des félins. Il n’avait jamais précisé que le portrait au mur était celui de la principale opposante. Il n’y avait que deux choix, soit elle était bien sa mère et il lui avait caché la vérité, soit elle n’était pas sa mère et il lui avait menti. Cherchant d’autres informations elle tourna la page presque instinctivement et resta figée face au dessin du lynx du désert qui s’affichait en grand. Pourquoi n’avait-elle donc jamais réalisé cette ressemblance ? Elle eut froid soudain. En levant les yeux, elle vit que le jour commençait à poindre à travers les fenêtres, remplissant la salle d’une douce couleur jaune. Elle se sentit infiniment lasse. Elle referma brusquement le livre alors que son hôte arrivait derrière elle.
— Je vais me coucher à présent, lui dit-il. Voici un sac, vous pouvez prendre les livres si vous voulez les lire plus tard.
Le grand-duc de la Houpe avait parlé avec douceur. Il avait pris soin de ne pas déranger sa future reine pendant sa lecture. Il savait reconnaitre et respecter les émotions des gens.
Mirette sortit de la salle et descendit le grand escalier dans un état second, le sac à l’épaule. Elle retrouva sa chambre à l’instinct, et s’effondra sur le lit. Les bouleversements qu’elle venait de subir auraient dû l’empêcher de dormir, au contraire elle tomba d’épuisement dans un sommeil, cette fois, sans rêve.
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