Chapitre 11

La tempête avait fini de souffler depuis de nombreuses heures quand Mirette s’extirpa enfin de sa torpeur sous la chaleur montante. Elle toussa et éternua plus d’une fois, et se releva prudemment, étonnée d’être encore en vie, et apparemment entière. Ses oreilles ne distinguaient aucun bruit suspect pouvant laisser croire que ses ravisseurs se trouvaient dans les parages. Son œil lui faisait mal, mais elle parvint à l’ouvrir, elle enleva le reste de corde qui lui entravait les poignets, se remit sur ses pattes arrière, et se promit intérieurement de ne parler à personne ni du rongeage de la corde, ni de cette course à quatre pattes qui la dégoutait. Elle remit vaguement ses vêtements en ordre, et se dirigea vers la dune voisine. Elle espérait voir un signe de vie civilisée. La déception qu’elle ressentit à la vue du désert sans fin qui s’étendait devant elle l’épuisa tout autant que la longue montée. Elle s’allongea de tout son long, écrasée par la chaleur et le désespoir. Le sommeil ou bien l’abattement la firent de nouveau perdre connaissance. Plusieurs heures plus tard, la fraicheur de la nuit la réveilla. Le silence et la lueur pâle de la lune rendaient le désert étrange. Elle comprit que son seul espoir résidait dans sa capacité de résistance et de marche et la fraicheur l’encouragea. Elle choisit au hasard une direction, et s’engagea dans la pente. Mirette ne connaissait pas la taille de ce désert, mais elle était bien décidée à marcher tant qu’il lui resterait des forces. Quand le soleil commença à poindre à l’horizon, elle chercha un abri pour se protéger de ses rayons brulants, creusa un trou sous un rocher et s’y lova pour se protéger au mieux de la chaleur. Elle tenta une toilette rapide, mais s’arrêta après un seul coup de langue, les grains de sable faisaient mal à sa langue râpeuse. La fatigue fut plus forte que la soif et la faim. Elle se réveilla de nouveau au coucher du soleil, se secoua l’échine, et reprit sa marche. Même la fraicheur de la nuit ne calmait plus sa soif. Heureusement elle finit par trouver sur sa route un cactus dont la sève soulagea sa langue desséchée. Dormant le jour, marchant la nuit, Mirette traversa ainsi les profondeurs du désert, sans savoir qu’elle se trouvait dans le cœur originel du désert, là où personne, à part les serpents, n’osait vivre.

  • Toujours pas de nouvelles ? Je devrais me joindre aux recherches dans la ville, au moins je me sentirai utile…
  • Tu es plus utile à garder la tête froide, mon frère, et à préparer l’avenir. Comment avancent les préparatifs pour la rencontre ?

Une lettre était arrivée au lendemain de la disparition de la jeune reine, demandant une rencontre officielle entre les deux clans pour s’assurer que tout se déroulait convenablement entre les nouveaux époux. Cette demande n’aurait pu plus mal tomber, et ni Fleck ni Flibuste n’avaient la naïveté de croire à une coïncidence. Ils avaient décidé de taire la disparition de la jeune féline, et d’organiser la rencontre, espérant qu’elle réapparaitrait avant l’arrivée de son père. Tout l’espoir de Fleck résidait dans Flibuste, et tout l’espoir de Flibuste résidait en Grog et sa troupe. Ces derniers parcouraient le désert sans relâche, voyant dans le fait de retrouver la Lynx, l’espoir d’une réhabilitation de leur peuple.

Quant à Mirette, après 3 nuits de marche sans manger, et à aspirer uniquement la sève des maigres cactus croisés, ce n’était plus l’espoir qui la faisait avancer, seulement la rage. Il n’était pas question que ses ravisseurs, quels qu’ils soient, gagnent et retrouvent ses ossements dans le désert. Il n’était pas question d’abandonner sa grand-mère qu’elle venait de retrouver. On lui avait répété toute son enfance qu’elle avait la tête plus dure que les cailloux, il était temps que ça serve. Elle marchait à présent sans rien voir devant elle, elle ne sentait plus ses blessures, seule la soif la tenaillait encore. Elle zigzaguait à présent entre les dunes, pour éviter de les gravir. La nuit se terminait de nouveau, elle avisa de son œil valide un rocher dont l’ombre se découpait sur les rayons du soleil levant et puisa dans ces forces pour le rejoindre. Quelle ne fut pas sa surprise quand elle le sentit bouger alors qu’elle se blottissait contre lui pour tenter de profiter de son ombre ? Elle vit l’ombre s’élever derrière elle, et tourna la tête pour voir, et comprendre. De toute manière je n’ai pas la force de courir, pensa-t-elle. Elle entendit une voix monter du rocher, pourquoi ce rocher lui disait-il qu’il la cherchait ? Qu’il était heureux de la trouver ? Qu’il allait la ramener à Artep ? La ramener ? Ces mots enfin arrivèrent à la sortir de sa torpeur. Elle reconnut dans le rocher un dromadaire brun, d’un certain âge, arborant sur sa bosse une magnifique parure. Il continuait à lui parler avec une grande douceur. Elle comprit qu’il l’autorisait à monter sur son dos, ce que ces nobles animaux se répugnaient à faire en temps normal, et qu’il l’amènerait à un puits avant de la ramener chez elle. Elle mit toutes ses forces restantes dans un bond et s’agrippa de toutes ses griffes sur la couverture, ce qui fit grogner le dromadaire. Mirette s’effondra, et s’endormit immédiatement bercée par le rythme des pas. Elle se réveilla par terre, le dromadaire devant elle en train de remonter un seau d’un puits qui semblait irréel. Elle frémit, ses moustaches avaient senti avant elle l’odeur et la fraicheur de l’eau. Elle ne se rappelait pas avoir bu quelque chose d’aussi bon de toute sa vie. Le dromadaire remonta un second seau et le lui versa dessus. Elle apprécia l’eau qui nettoya ses plaies, apaisa ses coussinets, et enleva les grains de sable de ses poils. Sur un mot du grand animal, elle bondit de nouveau, et cette fois-ci son saut la mena directement sur la bosse, sans qu’elle n’ait besoin de ses griffes pour s’agripper. Elle en ressentit un grand soulagement, et replongea dans le sommeil. Elle fut transvasée encore endormie dans un chariot mené par un couple de marchands rongeurs qui les attendait aux grandes pierres, tout en vendant leur marchandise sous leur tente. Ils rangèrent leurs affaires naturellement, et repartirent avec leur précieuse charge vers la ville. Passer de la douceur de l’amble du pas des dromadaires aux cahots du chariot sur la route réveilla rapidement la lynx qui s’agita.

— S’il vous plait, ne vous remuez pas, madame.

Une petite rongeuse s’était faufilée sous la couverture avec Mirette.

— Nous sommes en train de retourner à Artep, nous vous avons caché. Flibuste dit qu’il faut que personne ne vous voit rentrer dans la ville. Tenez, vous devez avoir faim.

— Flibuste ? Mais pourquoi ?

Mirette rongeait la viande grillée tout en écoutant.

— Personne ne vous a vu sortir. Et votre disparition est restée cachée. Bien que des rumeurs courent… Et puis je suppose qu’il ne serait pas de bon ton que votre père vous voie dans cet état.

— C’est absurde, pourquoi mon père serait-il ici ?

— Il a demandé à venir vous rencontrer et sa caravane nous précède.

Mirette ne dit plus rien. Elle se rallongea, laissant la nourriture et les informations arriver à son cerveau. Elle réfléchissait aussi vite qu’elle le pouvait. Cela ne pouvait pas être un hasard. Tout coïncidait un peu trop parfaitement. La lettre, l’enlèvement, et maintenant il était là. Elle aurait dû s’en douter. Quelqu’un comme Fenhrir ne pouvait pas accepter de perdre la face. Il n’avait accepté ce contrat que pour gagner la Palantine. La voyant lui échapper, il avait pris des mesures. Elle n’aurait jamais cru qu’il préférerait la perdre elle, sa fille, plutôt qu’un bout de terre, même traversé par la plus belle des rivières. Elle n’aurait jamais dû envoyer cette lettre.

La suite c’est ici !

By 4 December 2022.  No Comments on Chapitre 11  Désert   

Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *