Month: September 2022

Chapitre 2

C’est parce qu’il était impossible que Pollor et La Houpe se trompent que Fleck avait finalement accepté la cérémonie de mariage.

Une tente avait été installée sur la rive de la Palantine pour accueillir les deux délégations. Malgré la chaleur torride venant du désert, l’air semblait glacial. De chaque côté se tenaient les délégations du pays aride et du pays humide, se regardant en chiens de faïences. Il était difficile d’imaginer deux groupes plus disparates.

D’un côté, une belle uniformité de couleur, du beige au roux, en passant par des bruns, rassemblait les animaux du désert malgré leur taille et leur allure différentes. Les fennecs, habillés de larges tuniques, côtoyaient les plus petits renards et autres coyotes. Tous se tenaient droits et fixes. Seules leurs oreilles s’agitaient comme pourvues d’une vie propre à l’affut du moindre mouvement inapproprié.

Assis à une table à l’écart, trois rongeurs habillés d’étranges tenues poilues tenaient un registre des présents et transcrivaient la scène. Un mélange des trois documents serait fait ultérieurement afin de transmettre aux générations futures le récit de cette journée.

Flibuste, chacal à l’oreille tombante percée d’une magnifique boucle d’oreille rouge, un peu à l’écart du groupe, restait comme à son habitude calme. D’un pelage plus sombre que les autres habitants d’Artep, il portait en opposition une tunique colorée qui le différenciait d’autant plus. Fleck remarqua les regards désapprobateurs que ses congénères lui jetaient. Mais Flibuste n’en avait rien à faire et observait avec insistance chaque membre de la délégation adverse.

Caché derrière les tentures, Fleck suivit son regard. De l’autre côté se tenait l’assistance du pays humide constituée presque exclusivement de loups plus ou moins grands, habillés uniformément de pantalon et de chemises. Fenhrir s’appuyait sur son clan pour gouverner, seuls quelques ours l’avaient accompagné pour l’occasion, ravis de revenir au bord de la Palantine, perdue de longues années avant. Tous ces carnivores, puissants et notoirement guerroyeurs, participaient à la tension palpable sous la tente.

Sur la table centrale se tenaient Pollor, hérisson du roi et représentant du domaine aride, et Visiral, un vieux loup grisonnant, représentant du domaine humide et de son roi, Fenhrir. Les deux lisaient consciencieusement le document en vérifiant chaque mot, chaque lettre. C’est Pollor, avec son odorat reconnu entre tous, qui avait déjà validé l’authenticité de la signature de feu le roi, le père de Fleck. Chacun de ses piquants étant coloré par une encre différente, son allure détonnait, mais nul n’aurait osé remettre son autorité en question quand il s’agissait d’authentifier un document. Son museau était le plus fin de toute la contrée, et sans doute au-delà. Son allure étonnait certes, mais son avis faisait foi. Visiral quant à lui avait écrit chacun des contrats qui avaient permis à Fenhrir d’étendre en toute légalité son royaume. Il n’y avait que lui pour inscrire des clauses à double sens, des alinéas perturbateurs et autres paragraphes qui se refermaient aussi surement qu’un nœud coulant sur le malheureux cosignataire des documents.

Fleck repartit en arrière finir de se préparer. Il avait du temps avant que ces deux-là ne se mettent d’accord. Plus d’une heure passa avant que Visiral et Pollor, d’une même voix, appellent les souverains à rentrer, le document enfin finalisé.

C’est presque subrepticement que Fleck fit son entrée, la mine sombre. En quelques secondes Flibuste le chacal, fut près de lui. Leur père, Falicel, n’étant plus là, les deux demi-frères se retrouvaient ensemble à devoir veiller sur le pays, quand bien même le premier acte est ce mariage étrange…

Un remue-ménage se fit pendant quelques minutes puis Fenhrir rentra sous la tente, sa fille Mirette près de lui. Le sourire du père contrastait avec la mine renfrognée de la fille. Il la laissa près de la table, allant rapidement à la rencontre de son clan.

Après les souverains, un écureuil très vif entra précipitamment. Il portait haut sa belle queue touffue et l’accompagnait d’un gilet très seyant. Les écureuils formaient une espèce à part, reconnue par tous comme des animaux neutres et utiles au pouvoir en place, quel qu’il soit. Ils validaient les documents, officiaient toutes les cérémonies qu’on leur demandait. Leur présence assurait une neutralité bienveillante à peu de frais. Mirette et Fleck se retrouvèrent bientôt seuls devant la table, le contrat ouvert devant eux. Les signatures déjà apposées par feu le roi Falicel et par le roi Fenhrir brillaient sur le papier blanc. Dessous, un paragraphe avait été rajouté par Pollor et Visiral, n’attendant que les signatures des futurs époux.

L’écureuil prit sa plus belle voix et, après avoir réclamé le silence, démarra son discours. Il reprit tout d’abord les titres des futurs mariés, puis énonça les éléments spécifiques au contrat. « il est admis que le mariage ne sera effectif qu’à compter de ce jour plus 6 mois, si toutefois les époux en sont toujours d’accord et aient fait de leur mieux pour la bonne réalisation de ces épousailles, en particulier que Dame Mirette des Terres humides n’ait point été maltraitée, et qu’elle n’ait en conséquence point eu besoin de revenir sur ses terres natales pour sa propre protection », « si l’une de ces conditions venait à ne pas être remplie, alors ce mariage serait considéré comme caduc, et le territoire de Palantine serait restitué en échange de ce déshonneur aux Terres Humides, et à son représentant ».

À l’énoncé de ce paragraphe, Fleck se raidit imperceptiblement. Non, décidément, il ne comprenait pas comment son père avait pu valider un tel document. Ce territoire leur était essentiel. La rivière constituait le seul apport d’eau douce au nord du désert, et ils l’avaient durement conquis des années avant, à l’époque de son grand-père, contre le grand-père de Fenhrir. Cela était impossible, et pourtant il se retrouvait aujourd’hui, en train d’apposer sa patte et son poil sous ceux de son père et à côté de cette improbable épouse…

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By 28 September 2022.  No Comments on Chapitre 2  Désert   

Chapitre 1

— Cela n’est pas possible ! Je ne peux pas vous croire, vous devez vous tromper.

Tout en disant ces mots, le fennec agitait ses grandes oreilles dans tous les sens. Sa tunique moirée volait autour de lui tant il marchait vite, arpentant de long en large la pièce aux murs sombres qu’illuminaient à peine les rayons du soleil à travers les persiennes fermées.

Le grand-duc, les sourcils levés le fixaient de ses yeux ronds avec un air de dédain qui le quittait rarement. Il ne cachait pas que toute cette agitation était fort malvenue. Son roi l’avait réveillé et fait travailler de jour, le voilà maintenant qui réfutait son avis. Installé sur son perchoir, le grand-duc répéta à son souverain, avec douceur et fermeté, comme s’il parlait à un enfant.

— Il n’y a pas de doute possible, votre père a bien signé ce document.

Et comme s’il fallait insister, il ajouta : la signature est claire et nette, et le poil enferré dans la cire ne ment pas, je l’ai fait valider par Pollor, le nez le plus fin de la ville.

— Je vous crois, cher grand-duc de la Houpe, je vous crois, mais je ne peux concevoir que mon père ait signé ce document de sa pleine volonté. Il a sans nul doute été forcé. Je ne vois pas d’autre explication.

Le sieur de la Houpe regardait à présent le fennec avec plus de douceur. Son expertise n’étant plus remise en cause, il se trouvait plus enclin à l’empathie et tournait la tête pour suivre les mouvements de son hôte de marque. Mais toute cette agitation le fatiguait, et il n’avait plus qu’une attente, que le jeune roi sorte de son antre pour qu’il puisse reprendre sa nuit diurne. Comme s’il l’avait entendu, le fennec sortit de la pièce en marmonnant des remerciements, laissant l’ermite à son royaume de livres et à son sommeil interrompu.

Les pensées se bousculaient dans la tête de Fleck tandis qu’il descendait le long escalier sablonneux à flanc de falaise. Depuis que l’émissaire de Fenhrir lui avait amené le contrat en lui donnant rendez-vous une semaine plus tard en bordure du royaume, sur la rive de la rivière Palantine, Fleck était convaincu qu’il s’agissait d’un faux. Mais la Houpe avait confirmé la véracité du document. Intègre et hautement compétent, le grand-duc réglait les conflits de ceux qui venaient le voir, et tous acceptaient son expertise. Même lui ne pouvait pas remettre en cause sa conclusion. Et cependant « il ne PEUT PAS avoir validé ce document » restait la seule phrase qui tournait dans la tête du jeune roi. Quelle idée avait bien pu avoir son père en validant un tel contrat ?

**

Mirette se réveilla en sueur au milieu de la nuit. Sa truffe était sèche et sa langue pâteuse. Elle se secoua et sortit de sa chambre pour aller à la fontaine se rafraichir. En descendant l’escalier de pierre, elle entendit son père parler avec un de ses conseillers. La voix basse ne parvenait pas à masquer l’agacement et le ton menaçant utilisé par Fenhrir. Poussée par la curiosité Mirette prit le couloir adjacent sur la pointe des coussinets, toutes griffes rentrées et ses oreilles pointées en avant.

— Messire, je sais que nous avons déjà eu cette discussion, mais mon devoir est d’insister. Il y a tant de risque à envoyer Madame Mirette dans le désert. Elle pourrait recouvrer des souvenirs, rencontrer des personnes, trouver sa nature… Nous pourrions la perdre…

— Il suffit !

Fenhrir venait de grogner sa réponse plus que de la dire. Mirette recula instinctivement… mais la curiosité la rapprocha de nouveau de la porte.

— Nous avons déjà eu cette discussion ! Elle ne saurait se rappeler de souvenirs qui n’existent pas. Mirette est MA fille. C’est la princesse et la future reine du pays humide, elle le sait et je ne vois rien qui puisse la pousser à oublier cela. Et surtout pas un désert aride couvert de sable et peuplé de pleutres. Cette discussion est close, de même que l’amitié que je vous portais. Vous partirez demain pour les confins du pays.

— Je partirai au moins confiant d’avoir fait mon devoir, sire. Le reste vous appartient.

Mirette repartie tout en souplesse vers l’escalier qu’elle remonta prestement. Et finalement ça n’est pas tant la soif qui la tint éveillée, que la curiosité.

Le matin la trouva de fort mauvaise humeur. Le manque de sommeil la rendait systématiquement irritable, et la vue de ses sacs préparés la veille augmenta cette sensation. Elle brossa rageusement son pelage en pensant qu’elle allait bientôt rejoindre le désert et son futur mari, alors qu’elle n’aimait ni l’un ni l’autre.

La suite c’est par ici

By 16 September 2022.  No Comments on Chapitre 1  Désert   

De l’autre côté du désert

Dans ma présentation, je parle de la réponse à un Appel à Texte de l’éditeur Projets Sillex (pour l’anthologie Férocités). Ce premier texte finalisé, c’est « de l’autre côté du désert », l’histoire de la recontre d’une lynx de la forêt et d’un fennec d’un désert.

Je suis particulièrement attachée à ce texte, non pas tellement pour sa qualité, car j’en vois aujourd’hui tous les défauts (ou un grand nombre) mais pour bien d’autre chose. C’est le premier texte que j’ai écrit avec un début, un milieu et surtout, une fin ! Et ça n’est pas si facile de finir ! C’est aussi le premier texte que j’ai fait lire à mes très proches. C’est enfin celui que j’ai osé envoyer à un professionnel. Bref c’est ce texte qui m’a autorisé à ouvrir les portes de l’écriture « pour de vrai ».

En le rouvrant au hasard de mon rangement de fichiers estival, j’ai eu envie de lui offrir une autre vie, sur ce site internet. Vous trouverez donc l’ensemble de l’histoire via plusieurs articles à venir.Voici donc le pitch :

Mirette pensait que ce contrat serait comme les précédents et qu’elle pourrait dénoncer l’alliance avec le roi Fennec facilement, au plus grand bénéfice de son père, le roi du pays humide. C’était sans compter sur la découverte d’une ville surprenante au cœur du désert, et de ses habitants attachants. La traversée du désert sera pleine de surprise pour la jeune Lynx, dont le passé viendra déjouer les plans bien tracés.

Et les Trigger Warning : Animaux (animal fantasy donc récurrent ….), violence (ponctuel), enlèvement (ponctuel), sang (ponctuel)

Si ça vous intéresse, le premier chapitre et les suivants sont ci-dessous :

PS : Je n’ai pas envie de passer du temps dessus à le corriger, ni sur le fond ni sur la forme, donc pas la peine de me notifier les erreurs ou les fautes 😉