— Cela n’est pas possible ! Je ne peux pas vous croire, vous devez vous tromper.
Tout en disant ces mots, le fennec agitait ses grandes oreilles dans tous les sens. Sa tunique moirée volait autour de lui tant il marchait vite, arpentant de long en large la pièce aux murs sombres qu’illuminaient à peine les rayons du soleil à travers les persiennes fermées.
Le grand-duc, les sourcils levés le fixaient de ses yeux ronds avec un air de dédain qui le quittait rarement. Il ne cachait pas que toute cette agitation était fort malvenue. Son roi l’avait réveillé et fait travailler de jour, le voilà maintenant qui réfutait son avis. Installé sur son perchoir, le grand-duc répéta à son souverain, avec douceur et fermeté, comme s’il parlait à un enfant.
— Il n’y a pas de doute possible, votre père a bien signé ce document.
Et comme s’il fallait insister, il ajouta : la signature est claire et nette, et le poil enferré dans la cire ne ment pas, je l’ai fait valider par Pollor, le nez le plus fin de la ville.
— Je vous crois, cher grand-duc de la Houpe, je vous crois, mais je ne peux concevoir que mon père ait signé ce document de sa pleine volonté. Il a sans nul doute été forcé. Je ne vois pas d’autre explication.
Le sieur de la Houpe regardait à présent le fennec avec plus de douceur. Son expertise n’étant plus remise en cause, il se trouvait plus enclin à l’empathie et tournait la tête pour suivre les mouvements de son hôte de marque. Mais toute cette agitation le fatiguait, et il n’avait plus qu’une attente, que le jeune roi sorte de son antre pour qu’il puisse reprendre sa nuit diurne. Comme s’il l’avait entendu, le fennec sortit de la pièce en marmonnant des remerciements, laissant l’ermite à son royaume de livres et à son sommeil interrompu.
Les pensées se bousculaient dans la tête de Fleck tandis qu’il descendait le long escalier sablonneux à flanc de falaise. Depuis que l’émissaire de Fenhrir lui avait amené le contrat en lui donnant rendez-vous une semaine plus tard en bordure du royaume, sur la rive de la rivière Palantine, Fleck était convaincu qu’il s’agissait d’un faux. Mais la Houpe avait confirmé la véracité du document. Intègre et hautement compétent, le grand-duc réglait les conflits de ceux qui venaient le voir, et tous acceptaient son expertise. Même lui ne pouvait pas remettre en cause sa conclusion. Et cependant « il ne PEUT PAS avoir validé ce document » restait la seule phrase qui tournait dans la tête du jeune roi. Quelle idée avait bien pu avoir son père en validant un tel contrat ?
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Mirette se réveilla en sueur au milieu de la nuit. Sa truffe était sèche et sa langue pâteuse. Elle se secoua et sortit de sa chambre pour aller à la fontaine se rafraichir. En descendant l’escalier de pierre, elle entendit son père parler avec un de ses conseillers. La voix basse ne parvenait pas à masquer l’agacement et le ton menaçant utilisé par Fenhrir. Poussée par la curiosité Mirette prit le couloir adjacent sur la pointe des coussinets, toutes griffes rentrées et ses oreilles pointées en avant.
— Messire, je sais que nous avons déjà eu cette discussion, mais mon devoir est d’insister. Il y a tant de risque à envoyer Madame Mirette dans le désert. Elle pourrait recouvrer des souvenirs, rencontrer des personnes, trouver sa nature… Nous pourrions la perdre…
— Il suffit !
Fenhrir venait de grogner sa réponse plus que de la dire. Mirette recula instinctivement… mais la curiosité la rapprocha de nouveau de la porte.
— Nous avons déjà eu cette discussion ! Elle ne saurait se rappeler de souvenirs qui n’existent pas. Mirette est MA fille. C’est la princesse et la future reine du pays humide, elle le sait et je ne vois rien qui puisse la pousser à oublier cela. Et surtout pas un désert aride couvert de sable et peuplé de pleutres. Cette discussion est close, de même que l’amitié que je vous portais. Vous partirez demain pour les confins du pays.
— Je partirai au moins confiant d’avoir fait mon devoir, sire. Le reste vous appartient.
Mirette repartie tout en souplesse vers l’escalier qu’elle remonta prestement. Et finalement ça n’est pas tant la soif qui la tint éveillée, que la curiosité.
Le matin la trouva de fort mauvaise humeur. Le manque de sommeil la rendait systématiquement irritable, et la vue de ses sacs préparés la veille augmenta cette sensation. Elle brossa rageusement son pelage en pensant qu’elle allait bientôt rejoindre le désert et son futur mari, alors qu’elle n’aimait ni l’un ni l’autre.
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