Le chacal à l’oreille tombante longeait les falaises pour éviter la chaleur du soleil au zénith. Il marchait vite, la discrétion n’étant pas l’objectif prioritaire du jour. Pourtant en temps normal, il aurait entouré la rencontre à venir de mille et une précautions. Le message était passé par les chats des sables, le rendez-vous fixé rapidement aux cailloux du désert. Les portes d’Artep franchies, il se mit à courir, sa boucle d’oreille tintant au rythme de sa foulée. Enfin il arriva au lieu de rendez-vous, vérifia ses arrières, fit le tour des rochers après avoir brossé rapidement d’un geste sa veste qui trahissait son empressement matinal.
— Flibuste. Enfin. J’ai failli attendre.
Le dromadaire qui se tenait derrière les rochers parlait d’une voix grave et trainante, son visage exprimant clairement un mécontentement. La bosse pleine, décorée de nombreux fils tressés, démontrait des dernières semaines calme et paisible pour cet animal du désert qui venait rarement à l’entrée du labyrinthe. Quand les guerres de ces maraudeurs étaient à leur paroxysme, les dromadaires perdaient du poids et n’avaient plus le temps de s’occuper de leur apparence. Flibuste fit mine de ne pas avoir entendu la remarque.
— Merci d’avoir répondu à mon appel, Grog.
— Ne me remercie pas. Qu’à tu as à vendre ? Les temps sont durs depuis que la Palantine est gardée par les loups, cela impacte le prix des marchandises.
— Je ne suis pas là pour la contrebande. J’ai besoin de l’aide des maitres du désert.
— Je ne suis pas sensible à ta flatterie de bas étage, vil chacal (et pourtant son cou avait imperceptible rallongé à l’évocation du titre). Si tu n’as rien à me vendre, je m’en vais, je ne te dois rien.
— Eh bien en réalité si….
Flibuste s’était interposé sur le chemin du géant.
— Je me rappelle bien, moi, d’un service que tu me dois.
— Je te le rendrais quand j’estimerai que c’est le moment.
— Et bien, dans ce cas, c’est le moment que j’aille raconter à ton troupeau de quelle manière leur chef s’est enfui et a eu besoin d’un chacal pour retrouver son chemin dans…
— Ils ne te croiront pas !
— Alors cela ne te pose pas de souci que je leur en parle, je suppose ? Aide-moi, et ce souvenir s’effacera de ma mémoire.
— Je pourrais te l’effacer d’un coup de sabot, cela serait plus rapide et plus sûr.
— Crois-tu que l’enquête sera difficile à mener ? Mon frère ne vous porte déjà pas dans son cœur. Mon meurtre sera une belle occasion de vous pousser à l’exil. Il pourrait d’ailleurs vous accuser de l’enlèvement de sa belle, et laisser aux loups le plaisir de vous exterminer. Cela serait sans doute une bonne affaire pour le peuple d’Artep finalement, ce coup de sabot que tu veux me donner.
Flibuste regardait Grog d’un regard fixe, sans peur, son poitrail ne bougeait pas d’un millimètre, les oreilles tournées vers le haut pour capter chaque mouvement de cil du grand dromadaire.
— Bien. Ne nous fâchons pas. Il serait dommage de gâcher une collaboration de longue date. Que veux-tu ?
— La reine Mirette a disparu. J’ai remonté sa trace, elle est passée par le désert, mais je n’en sais pas plus. Ton peuple parcourt le sable jour et nuit, trouve-la !
— Veut-elle seulement être retrouvée ?
Flibuste, remontant les babines, montra les crocs.
— Si tu sous-entends qu’elle ait pu s’enfuir de sa propre volonté, tu auras affaire à moi.
— Tout doux. Vous les carnivores, vous vous énervez pour un rien… Je vais prévenir les miens, si elle est dans le désert, nous la trouverons.
— Bien. Merci.
Avant que Flibuste ait fini sa phrase, Grog reprit :
— Je ne peux cependant t’assurer qu’on la retrouve vivante, bien sûr.
Un silence suivit cette déclaration. Flibuste soupesa le pour et le contre. Puis lentement il rajouta.
— Je suis persuadé que le roi saura trouver une manière de récompenser ton peuple si elle survit à votre rencontre. Je m’en porte garant.
— Bien, je n’oublierai pas ce serment. Fais-en sorte que quelqu’un soit présent nuit et jour ici pour la ramener dans la ville. Aucun dromadaire ne posera un sabot dans les pierres rouges d’Artep de mon vivant.
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