Les festivités suite à la signature ne durèrent pas longtemps. Personne n’était dupe et aucun des clans n’avait envie de frayer avec l’autre. L’excuse d’arriver à Artep avant que le soleil ne soit couché, et en conséquence l’air du désert trop froid, fut acceptée par tous pour que chacun reprenne son chemin au plus tôt. Les nouveaux époux firent route ensemble telle que l’étiquette le demandait, dans une voiture tirée par deux oryx majestueux, mais leurs regards s’évitaient d’un commun accord. Il semblait que tous deux se retrouvaient pris au piège de calculs qui les dépassaient.
Mirette regardait le désert en soufflant. Lorsqu’elle réclama de l’eau pour la troisième fois du voyage, Fleck ne put s’empêcher de la reprendre.
— Pourquoi donc avez-vous manigancé un tel mariage si vous ne supportez pas la chaleur ?
— Manigancer ? Je vois que vos premières paroles à mon égard ne sont pas tendres. Je n’ai pas plus manigancé ce mariage que vous. Et je compte sur un peu plus de considération de votre part.
— C’est la troisième fois en moins de deux ans que vous êtes engagée. Et les deux précédentes se sont soldées par un échec, par votre faute, et ont ramenés terre et argent à votre père. Je ne peux croire que vous soyez étrangère à ces conclusions.
— Vous ne savez pas ce qu’il s’est passé avec mes précédents fiancés. Vous ne pouvez rejeter la faute que sur vous et votre père si les termes du mariage ne vous conviennent pas, personne ne l’a obligé à signer.
— Ça, c’est vous qui le dites ! Et le ton péremptoire du fennec clôtura la conversation tandis que le cortège sortait du désert pour s’enfoncer dans le dédale sinueux des falaises rouges menant à Artep.
Ça va peut-être être un peu plus corsé que supposé pensa Mirette en reprenant sa contemplation du paysage.
Malgré sa volonté de faire la tête jusqu’au palais, Mirette ne put s’empêcher de regarder avec intérêt le décor changeant. Après la platitude du désert et de ces dunes à l’infini, des falaises de pierre rouge s’élevaient à présent comme pour aller toucher le ciel. Elle n’aurait pas cru qu’un tel paysage existait au-delà des dunes, elle avait toujours cru que le peuple aride vivait dans le désert, que Artep n’était qu’une cité de tente et de maison aux briques sèches. À vrai dire, elle n’avait jamais vraiment songé à se renseigner…. Le peuple aride n’avait pas de grande qualité aux yeux de son père et de l’ensemble de ses conseillers. Ils étaient volontiers traités de pleutres, incapables, et autres adjectifs peu valorisants. À présent elle se demandait même si quelqu’un de chez elle n’était jamais allé aussi loin. Après de nombreuses intersections, Mirette se sentit aussi perdue que dans le désert. Ces falaises étaient un vrai labyrinthe. « Mais elles ne m’arrêteront pas », pensa-t-elle. Le canyon s’élargit enfin, et elle ne put s’empêcher de lâcher une exclamation de surprise. Décidément ce peuple était plein de surprise.
— Vous ne vivez donc pas dans des tentes dans le désert, souffla-t-elle…
Fleck, qui avait remarqué la fascination de sa compagne pour le décor majestueux, répondit sans ressentiment, et même avec un peu de fierté.
— Voilà Artep, la cité de pierre rouge. Elle est construite au cœur de ce dédale dans les falaises, et depuis bien longtemps elle nous abrite et nous protège de la chaleur… et des ennemis. Puis, parlant aux oryx :
— Ralentissez mes amis, laissons Dame Mirette admirer la ville qui va l’accueillir.
De part et d’autre du cortège les fenêtres et portes étaient taillées dans la roche, laissant entrevoir des pièces ombragées et de vastes maisons imbriquées les unes avec les autres. Quelques-unes présentaient des rajouts en briques rouges, et offraient à ses habitants qui un porche, qui une terrasse ou un balcon. Des chemins serpentaient au-dessus des premières maisons, ouvrant ainsi un deuxième niveau, puis un troisième terriblement haut. Ces chemins étaient reliés entre eux par des escaliers à donner le vertige, et pourtant empruntés visiblement par de nombreux habitants. Plus surprenant encore, des taches vertes apparaissaient sur certains rebords, preuve de la présence de végétaux bien portant. Mirette ne savait si l’air frais était dû à l’heure tardive, aux bénéfices de la protection des falaises ou à cette végétation. En se penchant, elle remarqua un fin filet d’eau courant le long de la route, abondant de bout en bout du chemin des petites oasis d’eau fraiche, qui d’ailleurs se trouvaient opportunément au pied de chaque escalier, permettant ainsi à chacun d’y venir boire à toute heure.
Enfin, la jeune Lynx descendit à la demande de son époux pour finir les derniers mètres à pattes. La route s’arrêtait devant un dernier virage, et les pupilles de Mirette s’ouvrirent plus grand encore face au spectacle qu’elle avait devant elle une fois le tournant passé. Une façade magnifique se tenait devant elle, des colonnettes encadraient chacune des fenêtres, la porte d’entrée était large et haute, pour autoriser le passage de chacun des habitants du désert sans distinction. Un escalier longeait la façade jusqu’à une dernière ouverture en hauteur permettant sans aucun doute les allées et venues de volatiles. Des statues parsemées sur l’ensemble de la façade représentaient l’ensemble des peuples qui habitaient la ville.
— Ma dame, voici mon palais, et en conséquence le vôtre. Je compte bien qu’il devienne votre foyer tout autant que le mien, car il n’est pas question que la dot que votre père convoite lui revienne. Vous apprendrez que tout autant que vous ne connaissiez pas ce dédale, vous connaissez peu mon peuple et ses talents. J’espère que vous saurez vous y attacher, comme votre pelage devrait vous y inciter d’ailleurs, regardez donc là-haut, au-dessus de la fenêtre au troisième niveau, vous devriez vous y reconnaitre dans le caracal qui la surplombe…
La suite c’est ici !