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Epilogue

La tente installée le long de la Palantine grouillait de monde et de bruit. L’ambiance n’aurait pas pu être plus opposée que six mois auparavant, quand les deux peuples s’étaient déjà rencontrés, au même endroit. Pollor et Visiral devisaient comme de vieux amis, tout en préparant la cérémonie. Chacun avait revêtu ses plus beaux atours. Un ensemble assez étrange de loups, félins, rongeurs… discutaient en attendant le début des festivités. Les dromadaires aussi étaient là, les bosses pleines et revêtues de mille couleurs. Ils bombaient le torse. Après les évènements du mois dernier, Fleck avait reconnu publiquement leur valeur. Leur aide inestimable avait été récompensée, ils étaient officiellement nommés comme les responsables du commerce entre les deux pays, et donc du bon approvisionnement d’Artep. Au milieu de cette agitation, Chacha, habillé pour l’occasion, s’était perché au-dessus de la tente. « Ils arrivent !! » cria-t-il, et la foule se tut.

Mirette resplendissait. Elle portait une robe magnifique, mêlant des arabesques de brun et de vert, les couleurs de ses deux pays. Les boucles d’oreilles chargeaient son oreille droite la faisant retomber comme à son habitude, et laissant fièrement dressé le plumeau blanc de son autre oreille. À ses côtés Fleck, tout habillé de blanc et de doré, souriait de toutes ses dents. Ils mirent longtemps à traverser la foule, s’arrêtant pour parler à chacun, avant d’arriver enfin à l’entrée de la tente où Fenhrir et Flibuste les attendaient en discutant.

— Où est le traitre ? demanda Flibuste.

— Au fond de la plus profonde geôle de mon palais. Je ne tente plus l’exil, répondit Fenhrir en arborant un grand sourire carnassier.

Fleck monta sur l’estrade et prit la parole face à la foule, Mirette à son bras.

— Il y a six mois, je n’aurais pu imaginer me retrouver ici, aussi heureux. Je sais que certains d’entre vous s’interrogent. Alors, sachez tous que j’épouse de mon plein gré cette belle féline. Sachez aussi qu’elle a, bien involontairement, passé l’épreuve ancestrale et survécu à quatre jours dans le désert. Sans eau, et sans aide. Alors elle est digne d’être votre reine. Et j’espère être digne d’être son époux.

Sans attendre la fin des acclamations de la foule, ils entrèrent tous deux sous la tente, suivis de leurs parents. L’écureuil qui les attendait, chauffa sa voix puis entama la cérémonie qui allait relier les deux pays, et clôturer une guerre. Les triples rongeurs commencèrent à écrire pour que personne n’oublie jamais la naissance de cette alliance.

The End !

By 4 December 2022.  No Comments on Epilogue  Désert   

Chapitre 14

Malgré la fatigue et le plaisir de retrouver sa couche douillette, Mirette n’arrivait pas à s’endormir et ne cessait de tourner dans son lit. Le pansement que le médecin avait mis sur son œil la gênait, de même que la crème sur ses coussinets qui devaient guérir les brulures du désert. Elle n’arrêtait pas de penser qu’elle aurait dû être au palais de la forêt et fulminait contre elle-même d’avoir accepté de rester en arrière. Elle se retrouvait à attendre des nouvelles. Et à tourner dans son lit. Elle finit par se lever pour aller admirer la grande place et le quartier des caracals du haut de son balcon. La lune pleine la regardait et éclairait l’ensemble de la ville. Au moins pensa-t-elle, ils doivent y voir clair pour avancer. En regardant l’escalier en face se profiler, elle se promit d’aller voir Vanille dès le lendemain. Soudain elle remarqua un mouvement dans l’ombre et un sombre pressentiment fit frissonner son échine. Elle appela doucement.

— Chacha ? Chacha, viens vite s’il te plait.

Le petit chat des sables passa la tête par le balcon du dessus.

— Oui, qu’y a-t-il ?

— Il y a du mouvement en bas, regarde bien, dans l’ombre.

— Je vais voir, je reviens.

Il ne fallut pas cinq minutes pour que le chat des sables soit en bas, et à peine autant pour qu’il rejoigne Mirette.

— Vous avez raison. Il faut sonner l’alerte, il y a des loups et des ours en arme qui approchent.

— La ville n’a presque plus de gardes. Mon père nous a trahis !

— Nous verrons plus tard. En tout cas, il y a un loup richement habillé à leur tête.

— Un loup richement habillé ? Va prévenir les gardes qu’ils ferment les portes du palais. Vite et sans bruit. Et reviens me voir dès que c’est fait. Je dois en avoir le cœur net.

Mirette enfila une combinaison couleur sable, s’enroula dans sa cape sombre, en remonta la capuche et passa le rebord du balcon pour atterrir sur la corniche. L’excitation lui faisait oublier ses coussinets douloureux. Elle gardait les yeux fixés sur les carnivores qui approchaient, inconscients de l’ombre qui les guettait. Elle sentit Chacha avant de le voir, et lui souffla dans l’oreille.

— C’est bien Varini. Fleck ne le trouvera pas au palais. Il est plus malin que mon père ne le pense. Et Artep est vide…

— Pas complètement. Les gardes du palais sont prêts à se battre. Et les caracals sont là, il faut aller les trouver.

— Pourquoi ne sont-ils pas allés avec les autres ?

— Ils voulaient rester auprès de leur reine. Fleck le leur a accordé.

— Bien. Va retrouver les gardes, qu’ils laissent les agresseurs rentrer dans la cour principale sans trop de résistance. Mais une fois à l’intérieur, toutes les issues doivent être bloquées, qu’ils n’aient accès à rien. Et si tout se passe bien, les caracals viendront prendre les agresseurs à revers. Ils devront se rendre.

— Entendu, je vais prévenir les gardes. Et je récupère aussi tous les miens. Nous sommes petits, mais féroces.

Mirette avait un peu de mal à imaginer Chacha et ses semblables, de si adorables peluches, en combattants féroces, mais il n’était plus temps. Tandis qu’il remontait vers les étages du palais, elle se faufila jusqu’en bas, longea le filet d’eau pour traverser sans bruit la grand-route après la colonne des envahisseurs. Elle remonta prestement vers le quartier des lynx et ses pas l’amenèrent instinctivement devant la maison de sa famille. Avant de rentrer, elle se retourna pour voir les ours pousser les grandes portes du palais. Déjà !

— Bourbon, réveille-toi ! Bourbon !

Mirette n’osait pas faire trop de bruit de peur d’attirer l’attention de l’ennemi. Mais quand les éclats des armes et les cris des assaillants montèrent, elle ne retint plus ses coups sur la porte qui finit par s’ouvrir.

— Bourbon ! Le palais est attaqué, il faut réveiller les caracals, il n’y a plus que vous à Artep. Les gardes ne tiendront pas longtemps.

En un instant le grand lynx avait compris la situation, il empoigna son arme et sortit en devançant Mirette. En entendant les bruits de bataille qui montait du palais, il bondit vers les autres maisons, tapant sur les fenêtres avec un rythme défini. En quelques minutes, plusieurs lynx en armes se trouvaient à côté de la reine, tandis que les derniers sortis se faufilaient dans toutes les ruelles pour réveiller les autres. Les troupes augmentaient à vue d’œil. Mirette ne tenait plus en place, elle avait peur d’arriver trop tard.

— Nous ne pouvons plus attendre. Des loups et des ours traitres à mon père attaquent le palais. Les gardes sont prévenus, ils les ont bloqués dans la grande cour du bas. Nous devons les prendre à revers, les empêcher de ressortir par la grand-porte. Allons-y !

Bourbon prit le bras de Mirette.

— Nous y allons, ma Reine, mais vous, vous restez ici, à l’abri. Il ne saurait être question de vous voir blesser.

— Entendu. Je viendrai avec le deuxième groupe, quand la situation sera, je l’espère stabilisée.

Mirette vit les troupes de félins descendre souplement et sans bruit la falaise, et s’engouffrer comme un fleuve dans le palais. Elle tremblait d’excitation, les oreilles tournées vers le bas pour entendre le moindre bruit. La pierre rouge brillait sous la lune, rendant l’ambiance surréaliste. Il ne fallut pas longtemps pour que de nombreux félins et félines reforment un groupe dense autour de Mirette. Vanille vint lui prendre le bras.

— Tu es chez toi. Nous ne laisserons personne te le reprendre, sois tranquille, et va te battre avec ton peuple.

Mirette sourit, fit tomber son manteau, prit son couteau en main, et embrassa tendrement sa grand-mère, avant d’entrainer ses congénères dans la pente à la rescousse des félins déjà au corps à corps.

— Allons rejoindre nos amis. Et sortir ces intrus d’Artep !

 

La suite (et la fin) c’est ici !

By 4 December 2022.  No Comments on Chapitre 14  Désert   

Chapitre 13

Le soir n’était pas encore tombé quand la meute de loups suivit par un mélange divers de fennecs, coyote et lynx en armes franchirent le grand porche d’entrée d’Artep. Fleck, Flibuste et Fenhrir avaient argumenté de concert pour convaincre Mirette de se reposer et de voir un médecin avant de les rejoindre quand la situation serait stabilisée. Flibuste avait rameuté les chacals et les dromadaires, deux groupes de puissants guerriers, qui avaient rejoint le convoi. La meute disparate avançait à marche forcée dans les longs couloirs de terre rouge pour arriver au plus tôt à la frontière des royaumes, et au palais des loups. Ils ne savaient pas ce qu’ils y trouveraient, les fidèles du roi actuel massacrés ou une prise de pouvoir sans violence ? Leur premier espoir était que la frontière ne soit ni gardée ni fermée par des partisans de Varini. Il fallait faire vite. Instinctivement et sans se concerter les deux dirigeants accélérèrent encore le pas et arrivèrent à l’entrée du désert alors que le soleil baissait sur l’horizon. Ils passèrent au pas de course, certains reprenant le mode à quatre pattes pour tenir le rythme. Jamais Fleck n’avait traversé le désert aussi rapidement. La sueur collait les poils aux habits, les armes tintaient dans le silence des dunes. Arrivés aux abords de la frontière, la tension dans l’air se fit plus forte que la fatigue, et pourtant la troupe réussit à garder le silence et à s’organiser sans bruit. En quelques minutes les fennecs avaient fait le tour des postes de garde, et les loups avaient flairé tous les alentours sans sentir les odeurs de leurs compatriotes. Rassuré, l’ensemble des troupes fut autorisé à se rafraichir à la rivière tandis que des éclaireurs partaient devant pour préparer l’étape suivante. Moins d’une heure plus tard, ils étaient revenus avec des nouvelles rassurantes, la route pour le palais semblait libre. Comme il ne fallait pas que quiconque puisse croire que les fennecs attaquaient le pays, les troupes de Fenhrir allaient devant, celles de Fleck suivaient, les dromadaires, réhabilités, furent laissés pour garder la frontière. La lune qui éclairait le chemin fut bientôt cachée par les nuages qui firent tomber une faible pluie sur la route, surprenant les animaux du désert, peu habitués, alors que la meute de loups progressait sans se rendre compte de rien, à l’aise sur les chemins de terre qui devenaient boueux. Heureusement cela ne dura pas et ils arrivèrent en vue du palais de la forêt après quelques heures de marche supplémentaires. Toute la fatigue accumulée s’effaça à la vue des hautes murailles. Fenhrir envoya quelques loups s’approcher à la recherche d’informations, odeurs ou indices quelconques. Flibuste regardait les remparts avec intérêt. Il avait souvent entendu parler de cette forteresse, et il frémissait d’envie de les franchir. L’éclaireur revint rapidement. Rien pour l’heure n’indiquait que quiconque se soit emparé du trône.

— Je suis chez moi, je vais rentrer par la grand-porte avec mes troupes. Fleck, vous m’accompagnez, vous êtes mes invités. Et si besoin nous nous battrons.

Flibuste pris Fleck à part.

— Ça sent le piège à pleine truffe.

— Je suis d’accord avec toi, mais nous ne pouvons pas faire grand-chose. Tu vas rester monter la garde ici, s’il y a quoi que ce soit je t’enverrai un messager.

— Entendu, sois prudent.

Fenhrir appela Fleck à ses côtés. Ils essayèrent de se rendre présentables. Les habits froissés, les bottes boueuses, les armes visibles, tout indiquait qu’ils avaient progressé à marche forcée dans un but loin d’être pacifiques. Derrière eux se positionna environ la moitié de la troupe.

— Bien, allons-y. Tous en ordre et dans le calme. Nous rentrons chez nous, avec nos invités. Rien de plus.

Fenhrir avait parlé de sa voix puissante, et tous emboitèrent le pas des deux souverains. La progression vers le château fut calme, les hommes de gardes saluèrent le roi en ne laissant rien voir de leur surprise. Les troupes avaient reçu l’ordre de fouiller le château, et les groupes se dispersèrent dans le calme pour vérifier tous les couloirs et toutes les salles au fur et à mesure de la progression. Arrivés enfin au cœur du château, ils furent accueillis par celui qui assurait l’intérim en l’absence de Fenhrir. Visiblement réveillé en plein sommeil, il était habillé sobrement d’un peignoir de nuit, les lunettes sur le museau, et les poils tout ébouriffés.

— Majesté, que se passe-t-il ? C’est le milieu de la nuit, rien n’est prêt ici. Oh ! vous êtes accompagné…

Il ne savait clairement pas où se mettre.

— Silence. Où se trouve Varini ?

— Varini ? Je ne sais pas, je ne l’ai pas revu depuis que vous l’avez envoyé en exil.

Un long silence suivit cette déclaration, silence rompu par le capitaine des loups qui vint annoncer que tout le château était libre et absent de toute invasion.

— Nous nous sommes trompé quelque part dit Fleck en parlant à Fenhrir. Si c’est bien Varini qui est derrière tout ça, pourquoi n’est-il pas ici ?

— Et où est-il ?

La suite c’est ici !

By 4 December 2022.  No Comments on Chapitre 13  Désert   

Chapitre 12

La nouvelle de l’arrivée de son père avait tout d’abord redonné de l’énergie à Mirette, cette énergie s’était rapidement transformée en énervement, puis en rage à peine contenue à son arrivée au palais. Le voyage, tout autant que les nombreux morceaux de poulets donnés par ses convoyeurs, avait regonflé son moral et lui avait permis de mieux percevoir la situation dans laquelle elle, et Fleck se trouvaient. Elle avait convaincu les Boboins de l’amener cachée jusqu’à ses appartements, où Chacha eut la surprise de la voir sortir d’un sac, en guenilles, amochées et loin d’être propre.

— Ma Dame ! Je suis si heureux de vous voir ! Mais dans quel état êtes-vous ! Je vais prévenir le roi, faire venir le médecin…

— Non. La délégation de mon père est-elle déjà là ?

— Comment…

Quelqu’un frappa à la porte, intimant le silence.

— Laissez-moi entrer, je dois voir la reine.

C’était la voix de Flibuste derrière la porte.

— Comment peut-il être au courant que je suis là… Mirette avait parlé tout bas.

— C’est moi qui ai posté les Boboins aux rochers du désert. S’ils sont revenus, c’est que vous êtes là. Et si vous êtes là en secret, c’est que vous êtes aussi intelligente que je l’ai toujours pensé. Laissez-moi entrer, le temps presse.

D’un mouvement de tête, Mirette valida la requête et vit entrer le grand chacal, habillé de ses atours royaux. Flibuste était toujours habillé sobrement, mais il mettait dans les jours d’importance son pourtour noir à liseré rouge qui faisait ressortir, avec sa boucle d’oreille rouge, son côté carnassier. Il ne put retenir un mouvement de recul en voyant la jeune féline, et se précipita pourtant pour la prendre tout contre lui.

— Je suis tellement heureux que vous soyez vivante. Êtes-vous en bonne santé ?

— Et bien, je le crois. J’ai quelques contusions, et mon œil droit ne veut pas s’ouvrir en entier, j’ai perdu quelques touffes de poils, et je pense que je vais boire toute ma vie pour étancher ma soif.

Elle sourit. Malgré son air imposant, il transpirait de gentillesse envers elle.

— Je suis désolé de vous presser…

— Mon père est ici, je sais.

— Oui, il ne sait pas que vous aviez disparu, il est actuellement avec Fleck dans le grand salon, en train de palabrer de choses et d’autres avant d’arriver au point que tout le monde attend : votre absence. Je suis venue ici pour vous pressez de le rejoindre, mais je vous espérais en meilleure forme, dans votre état actuel, il vaut mieux que vous vous reposiez.

— Non. Allez-y, je vais venir. Mon père ne gagnera pas cette fois.

Flibuste fut étonné par le ton froid avec lequel elle avait fini sa phrase. Mais il ne put que s’incliner et sortir de la pièce pour la laisser se préparer.

Flibuste fut encore plus surpris que le roi lorsqu’elle entra dans la grande pièce. Bien sûr son œil était encore visiblement mal en point, mais ses plumeaux se dressaient bien droit, sa robe aux manches longues cachait la majorité de ses blessures, et il ne la voyait pas boiter. Elle s’approcha de son père qu’elle salua, et prit le plus naturellement du monde le bras du fennec, qui jouait moins bien qu’elle la comédie.

— Excusez-moi de mon retard, j’ai longtemps hésité à venir vous rejoindre avec le mal de tête qui me ronge, mais il s’est évaporé d’un coup. Je ne pensais pas que vous viendriez me rendre visite en ces terres arides, cher père. Il n’est pas dans votre nature de vous aventurer si loin avec autant de vos hommes.

Mirette avait embrassé la situation d’un seul regard. Son père était venu entouré de nombreux loups de la meute, bien trop pour une visite de courtoisie.

— Je suis venu dès que j’ai été informé qu’il ait été possible que vous ne vous sentiez pas bien dans ce palais. Et votre œil semble donner raison à mes inquiétudes…

— Mon œil ne mettra que quelques jours à guérir. Une mauvaise chute et des grains de sable mal placés ont suffi à lui donner cet aspect lamentable. Cela n’aurait pas dû vous faire faire ce long chemin. Je suis tout à fait bien traité par le roi et ses hommes. À vrai dire, je me plais assez en ces terres arides…

Fleck ne comprenait pas tout. Il était partagé entre le plaisir d’avoir retrouvé Mirette (il avait donc bien raison, elle n’était pas partie de son plein gré), l’envie de la harceler de questions et l’inquiétude toujours ancrée au fond de lui en présence de tous ces loups. La chaleur diffuse à son bras, là où elle était accrochée, ne l’aidait pas à réfléchir. Elle le quitta soudainement pour prendre le bras de son père et ils s’éloignèrent rapidement de lui. Il perdit immédiatement la confiance qu’il avait retrouvée quelques minutes avant.

— Venez père, venez voir la vue magnifique que nous avons d’ici sur la ville rouge. Et elle rajouta plus bas : nous pourrons parler entre nous.

— Ils ne nous entendent plus, j’ai la troupe avec moi, nous pouvons vous sortir d’ici et vous ramener à la maison. Mon Dieu, votre œil…

— Je ne veux pas partir. Je vous l’ai déjà dit, et écrit. Mais vous ne voulez rien entendre. Je croyais que je comptais à vos yeux plus qu’une terre. Vous avez mal joué, mon cher père. Je vous ai défendu, j’étais prête à assurer la paix entre ces royaumes, je vous avais même déjà pardonné pour ma mère et vous, vous, vous m’avez abandonnée… Sans même avoir le courage de faire la basse besogne par vous-même.

Le ton de Mirette avait monté, elle feulait à présent clairement sans s’inquiéter que quiconque les entende. Elle déversait toute la rage qu’elle avait accumulée lors de son errance dans le désert. Fenhrir, plus grand et plus fort, paraissait bien fragile face à elle. Il avait le regard d’un père inquiet pour la santé de sa fille.

— Je ne comprends pas. Je suis venu, dès que j’ai su que tu avais besoin d’aide, avec tous mes fidèles compagnons, comme tu me l’as demandé. J’ai fait au plus vite, je t’assure. À présent, il est temps de te sortir de là. Je n’ai qu’un mouvement d’oreille à faire, et la meute attaquera. Nous pourrons partir.

— Il suffit ! Je ne partirai pas d’ici ! Je vous l’ai dit et écrit, comment ne comprenez-vous pas !

— Non ! Tu m’as écrit que tu voulais rentrer au plus tôt au palais.

— C’est un mensonge, comme celui de ma mère, vous avez l’habitude.

Sans un mot de plus Fenhrir fouilla ses poches, en sortit un papier, visiblement lu et relu de nombreuses fois, et le tendit à sa fille. Rapidement, Mirette parcourut le document, et reprit plus bas.

— Je n’ai pas écrit ça. C’est vous qui m’avez demandé de venir vous rejoindre à la bordure du désert, en réponse à ma lettre où je vous disais que je savais pour ma mère.

Fleck, qui avait l’oreille fine comme tous les fennecs, se rapprochait doucement, conscient que la conversation ne se déroulait pas comme elle aurait dû.

— Sans vouloir m’immiscer… Votre fille souhaite rester auprès de moi, et c’est également mon plaisir de la garder ici. Votre inquiétude de père est bien naturelle, mais elle est, aujourd’hui, déplacée. Il semble qu’il y ait un malentendu… Mirette, tu n’as pas écrit cette lettre, tu n’as pas attiré les loups dans ma ville, n’est-ce pas ?

— Non, bien sûr que non.

Elle frissonna à l’idée qu’il ait pu penser cela.

— Et vous Fenhrir, vous n’avez pas demandé à Mirette de quitter ma ville ?

— Non.

— Alors qui a intérêt à ce que nous nous entretuions ?

Après un silence, Mirette fit tomber un nom.

— Varini.

— Non, c’est un faible.

— Tu l’as banni avant mon mariage. Il tient sa vengeance si je ne ressors pas du désert, et mieux encore, si tu ne rentres pas d’Artep.

— Je ne peux le croire. Il t’a toujours chéri. Il ne te ferait pas de mal. Et puis, comme sais-tu cela ?

— C’est lui qui m’attendait aux portes du désert pour me ramener auprès de toi. J’ai cru que tu l’avais envoyé. Quand j’ai refusé, il m’a assommé. Il vise ton trône.

— Et il t’aurait forcé à l’épouser. Il l’a toujours voulu.

Mirette eut un sursaut mêlant surprise et rejet. Fleck conclut l’échange d’une voix forte et sans hésitation.

— Alors les choses sont claires. Il faut retourner au plus vite dans votre forêt protéger votre trône. Je vous accompagne, ainsi que mes meilleures troupes. Nous sommes alliés, après tout.

La suite ici

By 4 December 2022.  No Comments on Chapitre 12  Désert   

Chapitre 11

La tempête avait fini de souffler depuis de nombreuses heures quand Mirette s’extirpa enfin de sa torpeur sous la chaleur montante. Elle toussa et éternua plus d’une fois, et se releva prudemment, étonnée d’être encore en vie, et apparemment entière. Ses oreilles ne distinguaient aucun bruit suspect pouvant laisser croire que ses ravisseurs se trouvaient dans les parages. Son œil lui faisait mal, mais elle parvint à l’ouvrir, elle enleva le reste de corde qui lui entravait les poignets, se remit sur ses pattes arrière, et se promit intérieurement de ne parler à personne ni du rongeage de la corde, ni de cette course à quatre pattes qui la dégoutait. Elle remit vaguement ses vêtements en ordre, et se dirigea vers la dune voisine. Elle espérait voir un signe de vie civilisée. La déception qu’elle ressentit à la vue du désert sans fin qui s’étendait devant elle l’épuisa tout autant que la longue montée. Elle s’allongea de tout son long, écrasée par la chaleur et le désespoir. Le sommeil ou bien l’abattement la firent de nouveau perdre connaissance. Plusieurs heures plus tard, la fraicheur de la nuit la réveilla. Le silence et la lueur pâle de la lune rendaient le désert étrange. Elle comprit que son seul espoir résidait dans sa capacité de résistance et de marche et la fraicheur l’encouragea. Elle choisit au hasard une direction, et s’engagea dans la pente. Mirette ne connaissait pas la taille de ce désert, mais elle était bien décidée à marcher tant qu’il lui resterait des forces. Quand le soleil commença à poindre à l’horizon, elle chercha un abri pour se protéger de ses rayons brulants, creusa un trou sous un rocher et s’y lova pour se protéger au mieux de la chaleur. Elle tenta une toilette rapide, mais s’arrêta après un seul coup de langue, les grains de sable faisaient mal à sa langue râpeuse. La fatigue fut plus forte que la soif et la faim. Elle se réveilla de nouveau au coucher du soleil, se secoua l’échine, et reprit sa marche. Même la fraicheur de la nuit ne calmait plus sa soif. Heureusement elle finit par trouver sur sa route un cactus dont la sève soulagea sa langue desséchée. Dormant le jour, marchant la nuit, Mirette traversa ainsi les profondeurs du désert, sans savoir qu’elle se trouvait dans le cœur originel du désert, là où personne, à part les serpents, n’osait vivre.

  • Toujours pas de nouvelles ? Je devrais me joindre aux recherches dans la ville, au moins je me sentirai utile…
  • Tu es plus utile à garder la tête froide, mon frère, et à préparer l’avenir. Comment avancent les préparatifs pour la rencontre ?

Une lettre était arrivée au lendemain de la disparition de la jeune reine, demandant une rencontre officielle entre les deux clans pour s’assurer que tout se déroulait convenablement entre les nouveaux époux. Cette demande n’aurait pu plus mal tomber, et ni Fleck ni Flibuste n’avaient la naïveté de croire à une coïncidence. Ils avaient décidé de taire la disparition de la jeune féline, et d’organiser la rencontre, espérant qu’elle réapparaitrait avant l’arrivée de son père. Tout l’espoir de Fleck résidait dans Flibuste, et tout l’espoir de Flibuste résidait en Grog et sa troupe. Ces derniers parcouraient le désert sans relâche, voyant dans le fait de retrouver la Lynx, l’espoir d’une réhabilitation de leur peuple.

Quant à Mirette, après 3 nuits de marche sans manger, et à aspirer uniquement la sève des maigres cactus croisés, ce n’était plus l’espoir qui la faisait avancer, seulement la rage. Il n’était pas question que ses ravisseurs, quels qu’ils soient, gagnent et retrouvent ses ossements dans le désert. Il n’était pas question d’abandonner sa grand-mère qu’elle venait de retrouver. On lui avait répété toute son enfance qu’elle avait la tête plus dure que les cailloux, il était temps que ça serve. Elle marchait à présent sans rien voir devant elle, elle ne sentait plus ses blessures, seule la soif la tenaillait encore. Elle zigzaguait à présent entre les dunes, pour éviter de les gravir. La nuit se terminait de nouveau, elle avisa de son œil valide un rocher dont l’ombre se découpait sur les rayons du soleil levant et puisa dans ces forces pour le rejoindre. Quelle ne fut pas sa surprise quand elle le sentit bouger alors qu’elle se blottissait contre lui pour tenter de profiter de son ombre ? Elle vit l’ombre s’élever derrière elle, et tourna la tête pour voir, et comprendre. De toute manière je n’ai pas la force de courir, pensa-t-elle. Elle entendit une voix monter du rocher, pourquoi ce rocher lui disait-il qu’il la cherchait ? Qu’il était heureux de la trouver ? Qu’il allait la ramener à Artep ? La ramener ? Ces mots enfin arrivèrent à la sortir de sa torpeur. Elle reconnut dans le rocher un dromadaire brun, d’un certain âge, arborant sur sa bosse une magnifique parure. Il continuait à lui parler avec une grande douceur. Elle comprit qu’il l’autorisait à monter sur son dos, ce que ces nobles animaux se répugnaient à faire en temps normal, et qu’il l’amènerait à un puits avant de la ramener chez elle. Elle mit toutes ses forces restantes dans un bond et s’agrippa de toutes ses griffes sur la couverture, ce qui fit grogner le dromadaire. Mirette s’effondra, et s’endormit immédiatement bercée par le rythme des pas. Elle se réveilla par terre, le dromadaire devant elle en train de remonter un seau d’un puits qui semblait irréel. Elle frémit, ses moustaches avaient senti avant elle l’odeur et la fraicheur de l’eau. Elle ne se rappelait pas avoir bu quelque chose d’aussi bon de toute sa vie. Le dromadaire remonta un second seau et le lui versa dessus. Elle apprécia l’eau qui nettoya ses plaies, apaisa ses coussinets, et enleva les grains de sable de ses poils. Sur un mot du grand animal, elle bondit de nouveau, et cette fois-ci son saut la mena directement sur la bosse, sans qu’elle n’ait besoin de ses griffes pour s’agripper. Elle en ressentit un grand soulagement, et replongea dans le sommeil. Elle fut transvasée encore endormie dans un chariot mené par un couple de marchands rongeurs qui les attendait aux grandes pierres, tout en vendant leur marchandise sous leur tente. Ils rangèrent leurs affaires naturellement, et repartirent avec leur précieuse charge vers la ville. Passer de la douceur de l’amble du pas des dromadaires aux cahots du chariot sur la route réveilla rapidement la lynx qui s’agita.

— S’il vous plait, ne vous remuez pas, madame.

Une petite rongeuse s’était faufilée sous la couverture avec Mirette.

— Nous sommes en train de retourner à Artep, nous vous avons caché. Flibuste dit qu’il faut que personne ne vous voit rentrer dans la ville. Tenez, vous devez avoir faim.

— Flibuste ? Mais pourquoi ?

Mirette rongeait la viande grillée tout en écoutant.

— Personne ne vous a vu sortir. Et votre disparition est restée cachée. Bien que des rumeurs courent… Et puis je suppose qu’il ne serait pas de bon ton que votre père vous voie dans cet état.

— C’est absurde, pourquoi mon père serait-il ici ?

— Il a demandé à venir vous rencontrer et sa caravane nous précède.

Mirette ne dit plus rien. Elle se rallongea, laissant la nourriture et les informations arriver à son cerveau. Elle réfléchissait aussi vite qu’elle le pouvait. Cela ne pouvait pas être un hasard. Tout coïncidait un peu trop parfaitement. La lettre, l’enlèvement, et maintenant il était là. Elle aurait dû s’en douter. Quelqu’un comme Fenhrir ne pouvait pas accepter de perdre la face. Il n’avait accepté ce contrat que pour gagner la Palantine. La voyant lui échapper, il avait pris des mesures. Elle n’aurait jamais cru qu’il préférerait la perdre elle, sa fille, plutôt qu’un bout de terre, même traversé par la plus belle des rivières. Elle n’aurait jamais dû envoyer cette lettre.

La suite c’est ici !

By 4 December 2022.  No Comments on Chapitre 11  Désert   

Chapitre 10

Le chacal à l’oreille tombante longeait les falaises pour éviter la chaleur du soleil au zénith. Il marchait vite, la discrétion n’étant pas l’objectif prioritaire du jour. Pourtant en temps normal, il aurait entouré la rencontre à venir de mille et une précautions. Le message était passé par les chats des sables, le rendez-vous fixé rapidement aux cailloux du désert. Les portes d’Artep franchies, il se mit à courir, sa boucle d’oreille tintant au rythme de sa foulée. Enfin il arriva au lieu de rendez-vous, vérifia ses arrières, fit le tour des rochers après avoir brossé rapidement d’un geste sa veste qui trahissait son empressement matinal.

— Flibuste. Enfin. J’ai failli attendre.

Le dromadaire qui se tenait derrière les rochers parlait d’une voix grave et trainante, son visage exprimant clairement un mécontentement. La bosse pleine, décorée de nombreux fils tressés, démontrait des dernières semaines calme et paisible pour cet animal du désert qui venait rarement à l’entrée du labyrinthe. Quand les guerres de ces maraudeurs étaient à leur paroxysme, les dromadaires perdaient du poids et n’avaient plus le temps de s’occuper de leur apparence. Flibuste fit mine de ne pas avoir entendu la remarque.

— Merci d’avoir répondu à mon appel, Grog.

— Ne me remercie pas. Qu’à tu as à vendre ? Les temps sont durs depuis que la Palantine est gardée par les loups, cela impacte le prix des marchandises.

— Je ne suis pas là pour la contrebande. J’ai besoin de l’aide des maitres du désert.

— Je ne suis pas sensible à ta flatterie de bas étage, vil chacal (et pourtant son cou avait imperceptible rallongé à l’évocation du titre). Si tu n’as rien à me vendre, je m’en vais, je ne te dois rien.

— Eh bien en réalité si….

Flibuste s’était interposé sur le chemin du géant.

— Je me rappelle bien, moi, d’un service que tu me dois.

— Je te le rendrais quand j’estimerai que c’est le moment.

— Et bien, dans ce cas, c’est le moment que j’aille raconter à ton troupeau de quelle manière leur chef s’est enfui et a eu besoin d’un chacal pour retrouver son chemin dans…

— Ils ne te croiront pas !

— Alors cela ne te pose pas de souci que je leur en parle, je suppose ? Aide-moi, et ce souvenir s’effacera de ma mémoire.

— Je pourrais te l’effacer d’un coup de sabot, cela serait plus rapide et plus sûr.

— Crois-tu que l’enquête sera difficile à mener ? Mon frère ne vous porte déjà pas dans son cœur. Mon meurtre sera une belle occasion de vous pousser à l’exil. Il pourrait d’ailleurs vous accuser de l’enlèvement de sa belle, et laisser aux loups le plaisir de vous exterminer. Cela serait sans doute une bonne affaire pour le peuple d’Artep finalement, ce coup de sabot que tu veux me donner.

Flibuste regardait Grog d’un regard fixe, sans peur, son poitrail ne bougeait pas d’un millimètre, les oreilles tournées vers le haut pour capter chaque mouvement de cil du grand dromadaire.

— Bien. Ne nous fâchons pas. Il serait dommage de gâcher une collaboration de longue date. Que veux-tu ?

— La reine Mirette a disparu. J’ai remonté sa trace, elle est passée par le désert, mais je n’en sais pas plus. Ton peuple parcourt le sable jour et nuit, trouve-la !

— Veut-elle seulement être retrouvée ?

Flibuste, remontant les babines, montra les crocs.

— Si tu sous-entends qu’elle ait pu s’enfuir de sa propre volonté, tu auras affaire à moi.

— Tout doux. Vous les carnivores, vous vous énervez pour un rien… Je vais prévenir les miens, si elle est dans le désert, nous la trouverons.

— Bien. Merci.

Avant que Flibuste ait fini sa phrase, Grog reprit :

— Je ne peux cependant t’assurer qu’on la retrouve vivante, bien sûr.

Un silence suivit cette déclaration. Flibuste soupesa le pour et le contre. Puis lentement il rajouta.

— Je suis persuadé que le roi saura trouver une manière de récompenser ton peuple si elle survit à votre rencontre. Je m’en porte garant.

— Bien, je n’oublierai pas ce serment. Fais-en sorte que quelqu’un soit présent nuit et jour ici pour la ramener dans la ville. Aucun dromadaire ne posera un sabot dans les pierres rouges d’Artep de mon vivant.

La suite ici !

By 4 December 2022.  No Comments on Chapitre 10  Désert   

Chapitre 9

Mirette sentait le sang coller ses poils. Elle se balançait sur l’épaule de quelqu’un. Elle ouvrit avec difficulté un œil, l’autre semblait ne pas répondre. Elle comprit rapidement qu’elle était dans un sac. Elle se réveillait lentement, et en même temps qu’elle, sa colère et son corps douloureux. Mirette se força à ne pas bouger pour ne pas faire comprendre à ses kidnappeurs qu’elle était de retour. Elle se concentra sur les bruits environnants. Les assaillants semblaient être au moins deux, engagés dans une grande conversation. Une tempête de sable arrivait sur eux. L’un voulait se mettre à l’abri, l’autre finir la route sans tarder. Que la tempête soit sur eux plus rapidement que prévu, ou bien que le premier ait eu gain de cause, en tout cas, Mirette se retrouva, toujours dans son sac, jeté sur le sol, les pattes entravées par une corde. Elle fit semblant de dormir encore quand le sac s’ouvrit. Elle sentit l’air se rafraichir brutalement, et des grains de sable venir jusqu’à sa truffe. À travers son œil entrouvert, elle vit que ses geôliers étaient absorbés par le spectacle à l’extérieur de leur cachette.

Elle se décida à faire ce qu’elle répugnait, et se mit à ronger ses cordes à pleines dents. Il ne lui fallut pas longtemps pour se libérer. Elle réfléchit à leur sauter dessus, puis se reprit. Quelle importance, la vengeance viendrait après. Fleck ne laisserait pas un tel crime impuni. Son cœur se serra en pensant au fennec, il ne savait peut-être même pas qu’elle avait été enlevée. Depuis combien de temps était-elle inconsciente ? Elle revint à la réalité, il n’y aurait sans doute pas d’autre opportunité. Le vent soufflait fort à l’extérieur, elle banda ses muscles et sortit du sac en un bond. Un deuxième saut l’amena au bord de la pierre qui les protégeait tous de la tempête, puis elle fut dehors. Le vent la frappa si fort qu’elle faillit tomber, elle se campa sur ses quatre pattes et se mit à avancer en baissant les oreilles, son œil à demi-fermé. Elle entendit vaguement au milieu du sable qui claquait ses assaillants l’appeler. Bas sur ses pattes, elle avança face au vent. Elle comprit au bout de quelques mètres qu’elle ne pourrait aller bien loin, avisa une pierre qui dépassait encore du sable et se mit en boule dessous, non sans avoir mis son vêtement en protection autour de sa tête. Elle ne savait même pas si quiconque pouvait survivre dans le désert par un jour de tempête de sable. Sa dernière pensée avant de perdre conscience fut pour sa mère, qui aurait dû lui apprendre tout ça.

 

La suite c’est ici …

By 4 December 2022.  No Comments on Chapitre 9  Désert   

Chapitre 8

Mirette avait repris ses balades au sein d’Artep avec l’un ou l’autre des deux frères. Elle connaissait à présent les ruelles, les escaliers et les moindres endroits où l’eau fraiche coulait. C’est pourquoi il ne lui fut pas difficile de sortir cette nuit-là. Habillée de sombre, elle descendit à pas de velours l’escalier, traversa sans se faire voir la grande cour du bas, et sortit sur la grande place à l’abri des regards indiscrets grâce à la lune qui ne montrait qu’un fin croissant. Elle remonta le filet d’eau, sachant que personne ne pourrait retrouver sa trace ainsi. Quand elle fut en vue de l’entrée de la ville, elle sortit du chemin. Elle ne voulait pas risquer d’être vue, et ni le porche ni la falaise n’empêchaient un félin de passer. Une fois loin elle jeta un œil en arrière et reprit sa course vers le désert. Aucun labyrinthe ne pouvait résister à son odorat, elle sentait le désert à pleines narines. L’aube se levait quand elle arriva à l’entrée, et s’engagea sur le chemin qu’elle avait parcouru plusieurs mois avant. Cette fois elle ne se retourna pas et ne ralentit non plus.

Flibuste marchait à grandes enjambées. Il retournait vers les appartements du roi, les informations que Chacha lui avait données ne lui plairaient pas.

— Mirette est partie cette nuit, bien avant l’aube.

— Partie ? De son plein gré ?

— Nous savons qu’elle a reçu une lettre la veille, une lettre qui l’a mise dans tous ses états, a dit Chacha. Avant que tu ne demandes, nous n’avons pas retrouvé cette lettre, elle l’a sans doute prise avec elle. Elle n’a rien pris d’autre. Il est possible qu’elle revienne toute seule dans quelques heures, ou quelques jours, ou bien… qu’elle ne revienne pas.

— Mais elle a pu y être contrainte n’est-ce pas ? Rien ne prouve le contraire ?

— Je suppose que c’est possible…

— Nous allons partir du principe qu’elle n’a pas voulu s’en aller d’Artep, qu’elle a été enlevée.

— Il n’y a aucune raison de faire cette hypothèse.

Flibuste avait dit sa dernière phrase avec toute la douceur dont il était capable. Il savait que les deux époux s’étaient fortement rapprochés lors des dernières semaines où Mirette avait été souffrante. Il imaginait la difficulté que devait éprouver Fleck à seulement émettre l’hypothèse qu’elle ait pu partir volontairement. Il était bien plus facile de supposer le contraire.

— Je suis ton roi, Flibuste. Je fais, moi, l’hypothèse qu’elle a été enlevée. Vas-tu t’opposer à moi ou bien m’aider à la retrouver ?

Le ton du fennec s’était durci. Les oreilles en arrière, le museau tendu, les babines frémissantes, il n’attendait qu’un mot pour déverser sa colère.

— Bien sûr que je vais t’aider. Je suis à tes côtés, comme toujours.

La suite c’est ici !

By 4 December 2022.  No Comments on Chapitre 8  Désert   

Chapitre 7

Mirette resta enfermée près de deux mois dans sa chambre. Les premiers jours elle délira, l’esprit emporté par la fièvre. Fleck avait d’abord cru à un stratagème pour l’éviter, ou accélérer une rupture de contrat, mais il se rendit rapidement à l’évidence, et dès lors, passa chaque jour plusieurs heures à son chevet. Il avait trouvé au pied du lit les livres de la Houpe, et se prit à lui lire chaque jour un chapitre dès qu’elle eut repris connaissance. Cela arrangeait Mirette qui trouvait un sujet de discussion neutre dans ces histoires. Ils avaient tous deux convenu sans en parler de ne pas aborder l’origine de ses troubles. Jour après jour, Fleck lisait et racontait son pays à Mirette. Elle avait fait couvrir le miroir de sa chambre, et refusait obstinément de ressortir du palais. Il lui fallut près d’un mois pour accepter seulement d’aller sur le balcon qui donnait sur la place centrale. Fleck continuait de venir la voir et de lui lire les livres, installé au soleil couchant. Il avait fini les « mille et une histoires du pays aride » et entamait à présent « l’histoire de la Palantine ». Mirette trouvait reposantes ces heures passées avec le roi. Elle lui était reconnaissante de ne pas poser de questions ni de remettre sur le tapis ce satané contrat qui les liait ensemble, et se prenait même à trouver sa compagnie agréable.

Les jours passants, Mirette allait mieux. Elle osait de nouveau affronter son reflet dans le miroir découvert. Elle avait relu plus calmement les lignes sur les différentes espèces de lynx. Petit à petit elle acceptait cette idée qu’elle n’était peut-être pas ce qu’elle avait toujours cru qu’elle était. Un soir qu’elle avait ri aux pitreries de Chacha et se sentait enfin sure d’elle, elle se leva, pris un stylo, et entreprit de répondre aux courriers de son père, qui s’accumulait sur le bureau. Cela lui prit plus longtemps qu’elle n’aurait cru, mais elle fut soulagée lorsqu’elle eut fini.

Le lendemain matin, elle s’habilla d’une robe légère et remonta la capuche sur ses oreilles pointues. Elle se regarde longuement dans le miroir et sortit d’un pas décidé. Elle ne rencontra personne dans le palais, et se retrouva sur la grande place centrale qui se remplissait doucement de son activité matinale. Elle la traversa, profitant pleinement de la chaleur du soleil du matin et des odeurs montantes du sol, et retrouva sans difficulté le chemin que Fleck et elle avaient parcouru des semaines avant. Le caracal aux yeux voilés se trouvait au même endroit que la dernière fois, en haut des marches.

— Bonjour, Ma Reine, je vous attendais. Si vous voulez bien me suivre.

Elle lui emboita le pas. Elle fut étonnée qu’un aveugle soit capable de se déplacer avec autant d’aisance dans cet environnement. Elle le suivait presque difficilement, surveillant là où elle posait ses coussinets. Elle s’arrêta juste à temps pour ne pas lui rentrer dedans. Il lui céda le passage, l’invitant à entrer dans une maison devant lui. Deux vieux lynx se tenaient assis à une table. Un troisième se figea quand Mirette et son guide entrèrent.

— Regardez bien leurs pinceaux, souffla le vieil animal à l’oreille de sa reine.

Mirette regarda l’un, puis l’autre, et le troisième. Elle se rappela aussi ce qu’elle avait lu dans le livre. Les couleurs des pinceaux sont significatives des lignées maternelles. Elle avait toujours cru être unique avec ses oreilles bicolores. Elle enleva en douceur sa capuche, découvrant à ses hôtes le pinceau de poils bruns qui ornait son oreille droite, et celui d’une blancheur éclatante qui surplombait son oreille gauche. La vieille lynx se leva en tremblant, soutenu par celui qui semblait être son fils. Elle s’approcha de Mirette et caressa le pinceau blanc dans un silence complet. Puis sans prévenir, elle l’a pris dans ses bras et Mirette se sentit incompréhensiblement bien. Elle se détendit.

— Qui êtes-vous, madame ?

— Je suis ta grand-mère. Ma fille a disparu lors de la dernière guerre Palantine. On m’a rapporté qu’elle avait été enlevée par les loups, j’ai toujours espéré qu’elle revienne un jour. Peux-tu me dire si elle va bien ?

— Je n’ai pas connu ma mère, elle est morte à ma naissance… Je suis désolée.

Et sans crier gare, Mirette sentit les larmes monter, des larmes qu’elle n’avait jamais ressenties, des larmes qui après toutes ces années, venaient enfin de trouver le chemin de l’extérieur, et serrant cette vieille femme dans ses bras, elle se laissa enfin aller.

Mirette passa sa journée tranquillement dans le quartier des caracals, la majeure partie du temps sa grand-mère resta accrochée à son bras. Elle visita chaque maison dont les propriétaires l’invitaient à entrer, elle renifla à s’en enivrer les odeurs de la terre rouge chauffée par le soleil. Elle se promit de revenir au plus vite. Et c’est les pattes dans le filet d’eau que Mirette retrouva Vanille, sa grand-mère, le lendemain. Elles continuèrent une discussion qui avait été trop longtemps interrompue.

— Je ne sais si je dois maudire Fenhrir et son clan de loup pour avoir pris ma fille, ou les remercier d’avoir finalement rendu au peuple du désert ma petite-fille. C’est assez étrange. Mon fils, Bourbon, que tu as vu hier, veut partir en guerre, faire payer à ces loups la mort de sa sœur et ton exil.

— Tu sais, grand-mère, je n’étais pas en exil. J’étais chez moi.

Vanille tressaillit, et serra sur ces épaules le châle qu’elle avait amené. Mirette continua.

— Je ne sais si Fenhrir est un bon roi, je ne sais pas ce qu’il a fait pendant la guerre. Je ne sais pas s’il a enlevé ma mère, ou si elle l’a suivi de plein gré. Mais je sais une chose, il a été un bon père, un père aimant. J’ai été heureuse. Je ne veux pas que vous, ou quiconque, m’enleviez ça. Je ne veux pas avoir à choisir.

La vieille lynx prit son temps pour répondre. Elle avait souvent imaginé ces retrouvailles, et jamais elle n’avait anticipé une telle réaction. Finalement elle souffla et reprit le bras de sa petite-fille.

— Il aurait été plus simple de continuer à le haïr, mais je suis trop vieille à présent. Peu importe le passé, si le futur te garde près de moi, je te promets de ne plus le maudire.

Et c’est en souriant doucement qu’elles continuèrent leur tendre conversation. Le sujet était clos. Mirette avait trouvé sa place.

La suite c’est ici !

By 4 December 2022.  No Comments on Chapitre 7  Désert   

Chapitre 6

Les pitreries de Chacha, le petit chat des sables qui occupait constamment sa chambre, et qu’elle avait fini par adopté puisqu’il était impossible de s’en débarrasser, avait adouci la fin de journée, complété par un brossage en règle de sa longue pelure. À la nuit tombée, elle avait trouvé le sommeil sans trop de difficulté, mais il s’avéra agité et l’emmena dans un rêve, perdu, au milieu du désert. Elle se réveilla en sursaut. Elle n’avait plus envie de dormir. Son cerveau avait regroupé plusieurs passages de ces dernières semaines en un puzzle dont même le réveil ne parvenait pas à enlever l’odeur désagréable.

Bien réveillée, elle finit par se lever, enfila une robe légère et descendit dans la grande cour se rafraichir à l’eau qui courait, invariablement, quelle que soit l’heure du jour ou de la nuit. La lumière de la lune, ronde, la surprit et elle se prit à observer de l’intérieur les coursives de ce palais aux couleurs changeantes sous les rayons clairs et doux. Quelques gardes surveillaient les mouvements nocturnes, avec la délicatesse de ne pas perturber les visiteurs nocturnes comme elle. Le bruit de l’eau, les rayons de la lune, la douceur de l’architecture, tout ici la calmait. Elle se sentait en sécurité même s’il n’était pas simple de se l’avouer. Un hululement traversa l’air sans perturber une seconde le décor. Mirette leva les yeux, et sans y penser, se dirigea vers le grand escalier. Malgré une allure lente, elle finit par se retrouver tout en haut, devant la porte portant un panneau :

Grand-duc de La Houpe

Bibliothécaire, Savant, Autre

Ouvert de Minuit à 5 h

Prêt de document sur demande.

 

En se retournant, Mirette admira la vue plongeante sur la rue et la place centrale. Le ruisseau était à peine visible. Elle reconnut sur le versant opposé l’endroit où Fleck et elle avaient discuté la veille. Elle entra. La salle était petite, tout en arrondis, des livres encombraient les murs et les tables.

— Bonsoir.

Mirette leva les yeux pour apercevoir dans la pénombre un grand hibou qui la scrutait de ses yeux ronds, rondeur surlignée par un monocle cerclé d’argent.

— Bonjour, Monsieur De La Houpe. Mirette se sentit stupide. Elle ne savait pas vraiment ce qu’elle était venue chercher, poussée ici par un rêve stupide.

Peu importait, Mirette allait découvrir rapidement qu’il n’était pas besoin de savoir ce qu’on voulait, le grand-duc le savait avant vous.

— Je pensais bien que vous viendriez. J’ai préparé des documents sur la table à l’étage. Vous ne serez pas dérangés.

— Très bien. Je vous en remercie.

Le grand-duc eut la délicatesse de faire semblant de ne pas percevoir la surprise de sa visiteuse. Le premier étage ressemblait à celui qu’elle venait de quitter. Il y avait peut-être même un peu plus de fatras, si cela était possible. Au fond de la salle se trouvait une petite table, plutôt mieux rangée que les autres et avec une lampe allumée. Elle s’installa. Trois livres l’attendaient : « L’histoire de la Palantine, guerre et paix d’une région » par les frères Viscaches ; « Mille et une histoires du pays aride » et enfin « la grande famille des félins : tous cousins ? ».

Elle ouvrit ce dernier volume, laissant les autres de côté. Le livre regroupait chaque famille sur plusieurs pages, il était richement illustré de dessin et d’anecdotes. Elle reconnut dans les premières pages une image de chat des sables, le portrait craché de Chacha, pensa-t-elle en souriant. Elle s’émerveilla ensuite devant les illustrations d’une panthère de toute beauté, elle avait été, parait-il, un bandit de grand chemin des dizaines d’années auparavant. Elle passa rapidement sur les tigres, leurs pattes gigantesques ne l’avaient jamais trop rassuré, et ils avaient terriblement mauvaise réputation, tenancier de bar et autres activités de voyous étant leurs principales occupations. Enfin elle arriva sur le chapitre des Lynx. Elle leva la tête pour être sûre de ne pas être observée, et tourna précautionneusement les pages. Lynx des neiges, des sables, des forêts… la description complète était accompagnée comme pour les autres de dessins et de la description des principaux personnages marquants de l’Histoire. Elle fut soulagée de reconnaitre l’image de sa mère sur la page des lynx des forêts et sentit quelque chose se détendre dans ses tripes. Ce portrait lui ressemblait vraiment, et si sa mère était une lynx des forêts, il faudrait bien qu’ils admettent tous qu’elle aussi. Et qu’ils cessent de la traiter de caracal, malgré ses traits plus colorés que la moyenne.

Mais à y regarder de près, ce portrait était une copie conforme du tableau représentant sa mère affiché au palais. Elle sentit revenir la boule dans son ventre. La légende indiquait « Éléonore Dutilleul, meneuse de la rébellion des félins ». Un paragraphe plus bas expliquait comment les lynx des forêts s’étaient alliés aux autres félins pour faire tomber la dynastie des loups, et comment ils avaient échoué. Mirette connaissait l’histoire, Fenhrir lui racontait souvent comment son père avait maté la rébellion des félins. Il n’avait jamais précisé que le portrait au mur était celui de la principale opposante. Il n’y avait que deux choix, soit elle était bien sa mère et il lui avait caché la vérité, soit elle n’était pas sa mère et il lui avait menti. Cherchant d’autres informations elle tourna la page presque instinctivement et resta figée face au dessin du lynx du désert qui s’affichait en grand. Pourquoi n’avait-elle donc jamais réalisé cette ressemblance ? Elle eut froid soudain. En levant les yeux, elle vit que le jour commençait à poindre à travers les fenêtres, remplissant la salle d’une douce couleur jaune. Elle se sentit infiniment lasse. Elle referma brusquement le livre alors que son hôte arrivait derrière elle.

— Je vais me coucher à présent, lui dit-il. Voici un sac, vous pouvez prendre les livres si vous voulez les lire plus tard.

Le grand-duc de la Houpe avait parlé avec douceur. Il avait pris soin de ne pas déranger sa future reine pendant sa lecture. Il savait reconnaitre et respecter les émotions des gens.

Mirette sortit de la salle et descendit le grand escalier dans un état second, le sac à l’épaule. Elle retrouva sa chambre à l’instinct, et s’effondra sur le lit. Les bouleversements qu’elle venait de subir auraient dû l’empêcher de dormir, au contraire elle tomba d’épuisement dans un sommeil, cette fois, sans rêve.

La suite c’est ici !

By 4 December 2022.  No Comments on Chapitre 6  Désert