Category: Désert

Chapitre 5

Fleck tournait en rond dans la salle aux colonnettes. Il avait fait porter un message à Mirette, lui demandant de le rejoindre à 10 h. L’heure était déjà dépassée largement et il ne savait comment interpréter ce retard, sans aucun doute volontaire. Il avait passé une partie de la matinée à réfléchir à la meilleure manière d’entamer la discussion, puis de passer quelques heures avec elle. Mais n’avait pas envisagé qu’elle ne vienne pas. « Ça part mal », pensait-il au moment où il la vit apparaitre par l’escalier du nord. Elle avait chargé ses oreilles de boucles scintillantes qui les faisaient retomber, ses yeux étaient soulignés d’un trait ocre. Un collier avec une pierre verte faisant ressortir ses yeux rehaussait une tenue faussement simple.

— Vous êtes particulièrement en beauté.

— …

— Je vous remercie d’être venue me voir.

Mirette ne disait pas un mot. Tout dans son attitude dénotait un énervement croissant.

— Bon, ça n’est pas simple pour moi.

— Pour moi non plus.

Les quatre mots frappèrent le roi plus fort qu’une gifle. Il continua tant bien que mal.

— On ne m’a pas vraiment appris à faire ça.

— …

— Je suis désolé de vous avoir ignoré depuis que vous êtes arrivés.

— C’est un début.

— Euh, j’étais, non, je suis toujours, en colère de ce contrat de mariage qui me lie à vous sans mon consentement.

— Je n’ai pas l’impression que ça soit vraiment des excuses de votre comportement.

— Non, je veux dire. Je suis désolé de mon comportement envers vous. Comprenez-moi. Je suis énervé de risquer de perdre une partie de mon pays, une partie essentielle, pour vous, par vous. Mais j’admets que vous n’êtes, pas plus que moi, responsable de cette situation et il est injuste de ma part de vous faire porter cette décision, en vous ignorant et vous invisibilisant aux yeux des miens. Si vous le permettez, j’aimerais qu’on reprenne sur des bases plus saines notre relation.

— Je ne sais pas. Votre attitude pourrait suffire, à elle seule, à me faire rompre le contrat. Sans que personne n’y trouve rien à redire. Vous ne voulez pas perdre La Palantine, mais vous avez tout fait pour…

Fleck se mordit la langue pour retenir une réponse cinglante, mais repris au contraire tout en douceur.

— Laissez-moi une chance, laissez-nous une chance. J’ai prévu de vous amener dans les recoins de la ville que Flibuste ne vous a pas encore montrés. Il y a beaucoup à découvrir ici.

Le fennec accompagna sa parole du geste et Mirette, après une hésitation savamment calculée, ouvrit la marche et continua la discussion sur le ton de la badinerie tandis qu’elle s’engageait dans le large couloir menant au hall d’entrée.

— Flibuste vous a parlé donc. Qu’a-t-il dit de moi ?

— Que vous gagniez à être connu, ma Dame.

— Son avis compte donc à vos yeux ?

— Bien sûr. C’est mon frère.

— Votre frère ?

— Oui. Par ma mère. Nous avons grandi ensemble. Il est généralement de bon conseil, même s’il a tendance à ne pas être très respectueux des règles. Regarde, nous allons monter sur la falaise de l’autre côté de la place. Je pense que tu as visité l’intérieur du palais, je vais te le montrer de dehors, sous le meilleur angle qui existe.

Mirette plongea avec délice ses pattes dans l’eau qui courait le long de la route. Et leva le regard vers l’endroit que lui montrait le fennec. Un escalier serpentait entre les maisons troglodytes. Un escalier ardu, taillé dans la roche, montant encore plus haut que ce qu’elle avait vu au palais de son enfance. Elle suivit le fennec dans la poussière rouge, se disant qu’elle avait eu raison de s’habiller légèrement. Fleck entendait les boucles de sa compagne tinter derrière lui tandis qu’il grimpait d’un pas léger les marches.

— J’espère que ça n’est pas trop dur, lui dit-il en se retournant à peine.

Pour toute réponse, il la vit le doubler par la droite, sautant avec souplesse sur les murs, griffés avant elle par ses congénères félins.

— Non ça va. Je t’attends en haut… Et elle éclata de rire.

Fleck comprit alors ce que son frère lui avait dit. Il y avait bien deux personnalités en elle. Le soleil arrivait au zénith quand il s’installa à côté de Mirette.

— Lorsque le soleil est au plus haut, il frappe la façade de plein fouet, révélant tous ses détails. C’est le moment que je préfère. Quand j’étais plus petit, je venais souvent me réfugier ici quand je perdais face à mon frère. C’est le territoire des caracals, les nobles félins du désert, ce chacal de Flibuste ne risquait pas d’y monter. Regarde, c’est le moment.

L’ombre cédait peu à peu la place au soleil, dévoilant l’ensemble des statues, la finesse des fenêtres, Mirette voyait les coursives qu’elle empruntait, ouvertes sur l’extérieur, et elle pouvait même deviner les chemins qui s’enfonçaient dans le cœur du palais.

— Où mène l’escalier de droite, celui qui monte terriblement ? Qui vit là-haut ?

— C’est l’antre du Grand-duc de la Houpe. Un érudit. Il a dans son nichoir tous les livres essentiels, des encyclopédies sur le pays, les textes écrits par les triples rongeurs pour raconter notre histoire, les liens entre les espèces… Il accueille les visiteurs uniquement la nuit. L’exception qu’il fait pour moi le rend de fort mauvaise humeur.

Les deux passèrent près de deux heures à décortiquer l’histoire et le détail de la façade. En redescendant, Fleck s’arrêta pour saluer un caracal aux poils et aux yeux blanchis qui les observait depuis le début.

— Bien le bonjour mon ami,

— Bien le bonjour, mon roi. Vous êtes revenus à votre poste d’observation, avec votre dame. Je suis flattée que vous ayez choisi une belle de mon espèce, quand bien même elle a grandi loin d’ici, pour être votre épouse.

— Bonjour à vous également monsieur. Je vous remercie pour le compliment, mais nous ne sommes que cousins. Je ne viens ni du désert ni de ces falaises.

— Je n’ai pas le cœur de vous contredire, madame répondit le vieil animal en s’inclinant.

Cette rencontre jeta un froid sur le caractère de Mirette, qui redescendit plus lourdement qu’elle n’était montée, et prit congé de son époux pour le reste de la journée.

La suite c’est ici !

By 4 December 2022.  No Comments on Chapitre 5  Désert   

Chapitre 4

Depuis deux semaines qu’elle s’était installées dans ses appartements, Mirette n’avait pas revu Fleck. Elle avait visité une grande partie du palais, généralement en compagnie de Flibuste qui lui avait été affectée comme garde du corps. Le chacal était plutôt de bonne compagnie, et après avoir boudé les premiers jours, elle finit par apprécier sa présence. Après tout, Fleck lui rendait service en ne s’intéressant pas à elle, il serait bien plus simple de demander à rentrer chez elle dans quelques semaines.

— Ah !!!

Mirette sursauta et se raccrocha au bras de son cavalier tout en invectivant le petit chat des sables qui était apparu dans l’escalier en se faufilant entre ses pattes, manquant de la faire tomber.

— Mais ça n’est pas possible, enfin, faites attention où vous posez les pattes, j’ai failli vous écraser !! Et puis cette manie de ne pas vous habiller, enfin ! quand allez-vous vous civiliser !

Le lynx n’avait pas fini sa phrase que la bestiole avait déjà disparu dans une des nombreuses anfractuosités, formant un réseau de mini couloirs, que seuls lui et ses congénères pouvaient emprunter grâce à leur petite taille. La queue de Mirette ne cessait de s’agiter, démontrant son agacement. Elle détestait être surprise, elle détestait ces petites bêtes qui exhibaient leur animalité, elle détestait cette poussière de sable qui lui agressait les narines et l’obligeait à se brosser le pelage plusieurs fois par jour. Se rendant compte qu’elle tenait toujours le bras du chacal, elle le repoussa sans ménagement.

— Et vous lâchez moi, enfin ! mais c’est quoi ce pays ?! Vous n’êtes vraiment pas civilisé ici !

Flibuste l’entendait encore râler alors qu’elle avait rejoint ses appartements. Il eut une pensée émue pour les différents domestiques à son service qui devait supporter ses humeurs inconstantes, et poursuivit son chemin. Il rejoignit son frère dans la pièce d’étude où il restait enfermé depuis son retour de la Palantine. Son sourire s’effaça en entrant à la vue de la montagne de papiers qui jonchaient la table, et s’étalaient au sol.

— Bien le bonsoir, j’aimerai parler à mon frère, seul….

Peu de personnes étaient capables de tenir tête à Flibuste, et les conseillers présents mirent un empressement non feint à sortir, autant par crainte du grand chacal, que par épuisement suite au traitement que leur imposait le roi.

— Tu tombes bien Flibuste, je crois qu’on tient quelque chose là, dans la version de notre arrière-grand-père de l’encyclopédie du désert, il est dit que si une femme ne peut tenir quatre jours dans le désert sans boire, elle ne peut prétendre au titre de reine, évidemment Mirette pourrait tenir, mais j’ai quand même une bonne possibilité que ça fonctionne, et ça permettrait très probablement de pouvoir rejeter cet abject contrat, qu’en penses-tu ?

— Fleck… Depuis combien de temps n’as-tu pas dormi ?

— Depuis quelques jours, il y a tellement de documents à lire, je n’ai pas trop le temps, mais tu n’as pas répondu.

— Fleck, il faut que tu arrêtes, il n’y a pas de biais dans ce contrat. Il n’y a pas d’échappatoire. Ce que dit La Houpe est la vérité, même si cela ne nous plait pas. Arrête de t’obstiner, tu perds un temps précieux.

— Je préfère perdre un peu de mon temps que de perdre la Palantine ! Enfin c’est aberrant tu as bien vu ce que j’ai été obligé de signer ! il faut que je trouve une solution…

— Ça suffit ! Tu es le roi, mais ça ne t’empêche pas d’être un idiot ! Enfin, crois-tu vraiment que Fenhrir acceptera de te céder si tu laisses sa fille mourir dans le désert ? Il n’y a qu’une solution pour garder la Palantine et elle est devant tes yeux, il faut que tu séduises Mirette pour qu’elle souhaite rester ta femme ! C’est tout !

— Tu n’arrêteras donc jamais de me parler sur ce ton, Flibuste. Je ne suis pas que ton frère, je suis ton roi, tu me dois obéissance et respect.

— Mon respect, tu le perds chaque jour un peu plus depuis la cérémonie de fiançailles. Le chacal montrait ses dents tout en parlant, il perdait patience.

Comme s’il n’attendait que ça, Fleck se rapprocha de son frère, les oreilles en arrière. Bien que plus petit que lui, ça ne l’avait jamais empêché de l’attaquer. Depuis leur enfance jusqu’à aujourd’hui, les bagarres restaient un moyen de percer les abcès qui ne manquaient pas de naitre entre eux. Après quelques minutes de roulé-boulé et quelques claquements de dents qui arrachèrent des touffes de poils autant brunes que beiges, les deux frères se retrouvèrent tous deux sur le dos dans un grand fou rire.

— Quand arrêterons-nous de nous comporter comme cela ? demanda Fleck.

— J’espère jamais ! répondit Flibuste tout en rigolant. Allons prendre un verre pour parler tranquillement, veux-tu ?

— Je te l’offre sur la terrasse, allons-y.

— Regarde notre citée, Flibuste. Elle est belle et calme ce soir, comme tous les soirs. Et pourtant, si l’eau venait à manquer, tout s’effondrerait.

— Fenhrir ne va pas couper la rivière, il n’en a pas les moyens.

— C’est vrai, mais cette rivière est notre seul apport en eau douce au nord du désert. Grâce à elle il y a du commerce, grâce à elle nous pouvons traverser le désert en sachant qu’il y a une oasis au bout des dunes. Je ne peux pas concevoir qu’on perde cette région. Fenhrir nous interdirait l’accès, ou bien nous ferait payer des taxes excessives. J’ai bien compris que tu ne veuilles pas que je laisse la jolie Mirette mourir de soif dans le désert, et je t’accorde que ça n’est sans doute pas la meilleure idée que j’ai eue. Mais dis-moi, quelle est ta proposition pour que nous ne perdions pas la Palantine ?

— Il n’y a qu’un moyen : Mirette doit rester. Se plaire ici à Artep, et dans tout le pays aride. Elle doit accepter de devenir ta femme. Tu dois la convaincre, mieux, la séduire.

— C’est absurde. Elle est obtuse. Et n’a aucune envie de rester ici. Tu l’as bien vu.

— J’ai fait plus que la voir. Je l’ai observé. Je l’ai fréquenté. Plus que toi d’ailleurs, ce qui est aberrant, mais passons sur ce point.

— Alors tu es d’accord. Elle est insupportable. Et imbue d’elle-même.

— Elle joue un rôle, Fleck. Le rôle de la pimbêche. Mais elle a du mal à tenir le rôle 24 h sur 24 h. Rappelle-toi quand la calèche est arrivée à l’entrée d’Artep. Ses yeux se sont écarquillés. Elle était subjuguée. J’ai eu accès à cette facette-là plusieurs fois pendant nos balades. Elle est curieuse, intelligente et pose des questions. Et puis elle se reprend, se referme, reprend son rôle. Il n’y a pas le choix, il faut que tu perces cette armure.

— Ça a l’air plus facile à dire qu’à faire.

— Il faudrait commencer par aller la voir…

— Mouais

— Tu veux sauver la Palantine, oui ou non ? Alors, va dormir, et demain, va faire ce que tu as à faire !

— On verra. Encore une question, tu es d’accord que c’est une caracal ?

— Oui, je le crois aussi.

— Mais elle, elle dit qu’elle est une lynx des forêts.

— Ça se comprend. Je ne vois pas bien son père lui expliquer qu’elle est une lynx du désert. Alors que les habitants du désert sont considérés par les loups et leur congénère comme des idiots fainéants, entre autres qualités.

— Pas faux. C’est vrai que ses traits sont aussi beaux que ceux des caracals…

— Aussi beaux ? Tu vois, ça pourrait être moins dur que prévu…

— Lâche-moi, tu veux ?

La suite c’est par ici

By 4 December 2022.  No Comments on Chapitre 4  Désert   

Chapitre 3

Les festivités suite à la signature ne durèrent pas longtemps. Personne n’était dupe et aucun des clans n’avait envie de frayer avec l’autre. L’excuse d’arriver à Artep avant que le soleil ne soit couché, et en conséquence l’air du désert trop froid, fut acceptée par tous pour que chacun reprenne son chemin au plus tôt. Les nouveaux époux firent route ensemble telle que l’étiquette le demandait, dans une voiture tirée par deux oryx majestueux, mais leurs regards s’évitaient d’un commun accord. Il semblait que tous deux se retrouvaient pris au piège de calculs qui les dépassaient.

Mirette regardait le désert en soufflant. Lorsqu’elle réclama de l’eau pour la troisième fois du voyage, Fleck ne put s’empêcher de la reprendre.

— Pourquoi donc avez-vous manigancé un tel mariage si vous ne supportez pas la chaleur ?

— Manigancer ? Je vois que vos premières paroles à mon égard ne sont pas tendres. Je n’ai pas plus manigancé ce mariage que vous. Et je compte sur un peu plus de considération de votre part.

— C’est la troisième fois en moins de deux ans que vous êtes engagée. Et les deux précédentes se sont soldées par un échec, par votre faute, et ont ramenés terre et argent à votre père. Je ne peux croire que vous soyez étrangère à ces conclusions.

— Vous ne savez pas ce qu’il s’est passé avec mes précédents fiancés. Vous ne pouvez rejeter la faute que sur vous et votre père si les termes du mariage ne vous conviennent pas, personne ne l’a obligé à signer.

— Ça, c’est vous qui le dites ! Et le ton péremptoire du fennec clôtura la conversation tandis que le cortège sortait du désert pour s’enfoncer dans le dédale sinueux des falaises rouges menant à Artep.

Ça va peut-être être un peu plus corsé que supposé pensa Mirette en reprenant sa contemplation du paysage.

Malgré sa volonté de faire la tête jusqu’au palais, Mirette ne put s’empêcher de regarder avec intérêt le décor changeant. Après la platitude du désert et de ces dunes à l’infini, des falaises de pierre rouge s’élevaient à présent comme pour aller toucher le ciel. Elle n’aurait pas cru qu’un tel paysage existait au-delà des dunes, elle avait toujours cru que le peuple aride vivait dans le désert, que Artep n’était qu’une cité de tente et de maison aux briques sèches. À vrai dire, elle n’avait jamais vraiment songé à se renseigner…. Le peuple aride n’avait pas de grande qualité aux yeux de son père et de l’ensemble de ses conseillers. Ils étaient volontiers traités de pleutres, incapables, et autres adjectifs peu valorisants. À présent elle se demandait même si quelqu’un de chez elle n’était jamais allé aussi loin. Après de nombreuses intersections, Mirette se sentit aussi perdue que dans le désert. Ces falaises étaient un vrai labyrinthe. « Mais elles ne m’arrêteront pas », pensa-t-elle. Le canyon s’élargit enfin, et elle ne put s’empêcher de lâcher une exclamation de surprise. Décidément ce peuple était plein de surprise.

— Vous ne vivez donc pas dans des tentes dans le désert, souffla-t-elle…

Fleck, qui avait remarqué la fascination de sa compagne pour le décor majestueux, répondit sans ressentiment, et même avec un peu de fierté.

— Voilà Artep, la cité de pierre rouge. Elle est construite au cœur de ce dédale dans les falaises, et depuis bien longtemps elle nous abrite et nous protège de la chaleur… et des ennemis. Puis, parlant aux oryx :

— Ralentissez mes amis, laissons Dame Mirette admirer la ville qui va l’accueillir.

De part et d’autre du cortège les fenêtres et portes étaient taillées dans la roche, laissant entrevoir des pièces ombragées et de vastes maisons imbriquées les unes avec les autres. Quelques-unes présentaient des rajouts en briques rouges, et offraient à ses habitants qui un porche, qui une terrasse ou un balcon. Des chemins serpentaient au-dessus des premières maisons, ouvrant ainsi un deuxième niveau, puis un troisième terriblement haut. Ces chemins étaient reliés entre eux par des escaliers à donner le vertige, et pourtant empruntés visiblement par de nombreux habitants. Plus surprenant encore, des taches vertes apparaissaient sur certains rebords, preuve de la présence de végétaux bien portant. Mirette ne savait si l’air frais était dû à l’heure tardive, aux bénéfices de la protection des falaises ou à cette végétation. En se penchant, elle remarqua un fin filet d’eau courant le long de la route, abondant de bout en bout du chemin des petites oasis d’eau fraiche, qui d’ailleurs se trouvaient opportunément au pied de chaque escalier, permettant ainsi à chacun d’y venir boire à toute heure.

Enfin, la jeune Lynx descendit à la demande de son époux pour finir les derniers mètres à pattes. La route s’arrêtait devant un dernier virage, et les pupilles de Mirette s’ouvrirent plus grand encore face au spectacle qu’elle avait devant elle une fois le tournant passé. Une façade magnifique se tenait devant elle, des colonnettes encadraient chacune des fenêtres, la porte d’entrée était large et haute, pour autoriser le passage de chacun des habitants du désert sans distinction. Un escalier longeait la façade jusqu’à une dernière ouverture en hauteur permettant sans aucun doute les allées et venues de volatiles. Des statues parsemées sur l’ensemble de la façade représentaient l’ensemble des peuples qui habitaient la ville.

— Ma dame, voici mon palais, et en conséquence le vôtre. Je compte bien qu’il devienne votre foyer tout autant que le mien, car il n’est pas question que la dot que votre père convoite lui revienne. Vous apprendrez que tout autant que vous ne connaissiez pas ce dédale, vous connaissez peu mon peuple et ses talents. J’espère que vous saurez vous y attacher, comme votre pelage devrait vous y inciter d’ailleurs, regardez donc là-haut, au-dessus de la fenêtre au troisième niveau, vous devriez vous y reconnaitre dans le caracal qui la surplombe…

La suite c’est ici !

By 4 December 2022.  No Comments on Chapitre 3  Désert   

Chapitre 2

C’est parce qu’il était impossible que Pollor et La Houpe se trompent que Fleck avait finalement accepté la cérémonie de mariage.

Une tente avait été installée sur la rive de la Palantine pour accueillir les deux délégations. Malgré la chaleur torride venant du désert, l’air semblait glacial. De chaque côté se tenaient les délégations du pays aride et du pays humide, se regardant en chiens de faïences. Il était difficile d’imaginer deux groupes plus disparates.

D’un côté, une belle uniformité de couleur, du beige au roux, en passant par des bruns, rassemblait les animaux du désert malgré leur taille et leur allure différentes. Les fennecs, habillés de larges tuniques, côtoyaient les plus petits renards et autres coyotes. Tous se tenaient droits et fixes. Seules leurs oreilles s’agitaient comme pourvues d’une vie propre à l’affut du moindre mouvement inapproprié.

Assis à une table à l’écart, trois rongeurs habillés d’étranges tenues poilues tenaient un registre des présents et transcrivaient la scène. Un mélange des trois documents serait fait ultérieurement afin de transmettre aux générations futures le récit de cette journée.

Flibuste, chacal à l’oreille tombante percée d’une magnifique boucle d’oreille rouge, un peu à l’écart du groupe, restait comme à son habitude calme. D’un pelage plus sombre que les autres habitants d’Artep, il portait en opposition une tunique colorée qui le différenciait d’autant plus. Fleck remarqua les regards désapprobateurs que ses congénères lui jetaient. Mais Flibuste n’en avait rien à faire et observait avec insistance chaque membre de la délégation adverse.

Caché derrière les tentures, Fleck suivit son regard. De l’autre côté se tenait l’assistance du pays humide constituée presque exclusivement de loups plus ou moins grands, habillés uniformément de pantalon et de chemises. Fenhrir s’appuyait sur son clan pour gouverner, seuls quelques ours l’avaient accompagné pour l’occasion, ravis de revenir au bord de la Palantine, perdue de longues années avant. Tous ces carnivores, puissants et notoirement guerroyeurs, participaient à la tension palpable sous la tente.

Sur la table centrale se tenaient Pollor, hérisson du roi et représentant du domaine aride, et Visiral, un vieux loup grisonnant, représentant du domaine humide et de son roi, Fenhrir. Les deux lisaient consciencieusement le document en vérifiant chaque mot, chaque lettre. C’est Pollor, avec son odorat reconnu entre tous, qui avait déjà validé l’authenticité de la signature de feu le roi, le père de Fleck. Chacun de ses piquants étant coloré par une encre différente, son allure détonnait, mais nul n’aurait osé remettre son autorité en question quand il s’agissait d’authentifier un document. Son museau était le plus fin de toute la contrée, et sans doute au-delà. Son allure étonnait certes, mais son avis faisait foi. Visiral quant à lui avait écrit chacun des contrats qui avaient permis à Fenhrir d’étendre en toute légalité son royaume. Il n’y avait que lui pour inscrire des clauses à double sens, des alinéas perturbateurs et autres paragraphes qui se refermaient aussi surement qu’un nœud coulant sur le malheureux cosignataire des documents.

Fleck repartit en arrière finir de se préparer. Il avait du temps avant que ces deux-là ne se mettent d’accord. Plus d’une heure passa avant que Visiral et Pollor, d’une même voix, appellent les souverains à rentrer, le document enfin finalisé.

C’est presque subrepticement que Fleck fit son entrée, la mine sombre. En quelques secondes Flibuste le chacal, fut près de lui. Leur père, Falicel, n’étant plus là, les deux demi-frères se retrouvaient ensemble à devoir veiller sur le pays, quand bien même le premier acte est ce mariage étrange…

Un remue-ménage se fit pendant quelques minutes puis Fenhrir rentra sous la tente, sa fille Mirette près de lui. Le sourire du père contrastait avec la mine renfrognée de la fille. Il la laissa près de la table, allant rapidement à la rencontre de son clan.

Après les souverains, un écureuil très vif entra précipitamment. Il portait haut sa belle queue touffue et l’accompagnait d’un gilet très seyant. Les écureuils formaient une espèce à part, reconnue par tous comme des animaux neutres et utiles au pouvoir en place, quel qu’il soit. Ils validaient les documents, officiaient toutes les cérémonies qu’on leur demandait. Leur présence assurait une neutralité bienveillante à peu de frais. Mirette et Fleck se retrouvèrent bientôt seuls devant la table, le contrat ouvert devant eux. Les signatures déjà apposées par feu le roi Falicel et par le roi Fenhrir brillaient sur le papier blanc. Dessous, un paragraphe avait été rajouté par Pollor et Visiral, n’attendant que les signatures des futurs époux.

L’écureuil prit sa plus belle voix et, après avoir réclamé le silence, démarra son discours. Il reprit tout d’abord les titres des futurs mariés, puis énonça les éléments spécifiques au contrat. « il est admis que le mariage ne sera effectif qu’à compter de ce jour plus 6 mois, si toutefois les époux en sont toujours d’accord et aient fait de leur mieux pour la bonne réalisation de ces épousailles, en particulier que Dame Mirette des Terres humides n’ait point été maltraitée, et qu’elle n’ait en conséquence point eu besoin de revenir sur ses terres natales pour sa propre protection », « si l’une de ces conditions venait à ne pas être remplie, alors ce mariage serait considéré comme caduc, et le territoire de Palantine serait restitué en échange de ce déshonneur aux Terres Humides, et à son représentant ».

À l’énoncé de ce paragraphe, Fleck se raidit imperceptiblement. Non, décidément, il ne comprenait pas comment son père avait pu valider un tel document. Ce territoire leur était essentiel. La rivière constituait le seul apport d’eau douce au nord du désert, et ils l’avaient durement conquis des années avant, à l’époque de son grand-père, contre le grand-père de Fenhrir. Cela était impossible, et pourtant il se retrouvait aujourd’hui, en train d’apposer sa patte et son poil sous ceux de son père et à côté de cette improbable épouse…

/ La suite c’est ici !

By 28 September 2022.  No Comments on Chapitre 2  Désert   

Chapitre 1

— Cela n’est pas possible ! Je ne peux pas vous croire, vous devez vous tromper.

Tout en disant ces mots, le fennec agitait ses grandes oreilles dans tous les sens. Sa tunique moirée volait autour de lui tant il marchait vite, arpentant de long en large la pièce aux murs sombres qu’illuminaient à peine les rayons du soleil à travers les persiennes fermées.

Le grand-duc, les sourcils levés le fixaient de ses yeux ronds avec un air de dédain qui le quittait rarement. Il ne cachait pas que toute cette agitation était fort malvenue. Son roi l’avait réveillé et fait travailler de jour, le voilà maintenant qui réfutait son avis. Installé sur son perchoir, le grand-duc répéta à son souverain, avec douceur et fermeté, comme s’il parlait à un enfant.

— Il n’y a pas de doute possible, votre père a bien signé ce document.

Et comme s’il fallait insister, il ajouta : la signature est claire et nette, et le poil enferré dans la cire ne ment pas, je l’ai fait valider par Pollor, le nez le plus fin de la ville.

— Je vous crois, cher grand-duc de la Houpe, je vous crois, mais je ne peux concevoir que mon père ait signé ce document de sa pleine volonté. Il a sans nul doute été forcé. Je ne vois pas d’autre explication.

Le sieur de la Houpe regardait à présent le fennec avec plus de douceur. Son expertise n’étant plus remise en cause, il se trouvait plus enclin à l’empathie et tournait la tête pour suivre les mouvements de son hôte de marque. Mais toute cette agitation le fatiguait, et il n’avait plus qu’une attente, que le jeune roi sorte de son antre pour qu’il puisse reprendre sa nuit diurne. Comme s’il l’avait entendu, le fennec sortit de la pièce en marmonnant des remerciements, laissant l’ermite à son royaume de livres et à son sommeil interrompu.

Les pensées se bousculaient dans la tête de Fleck tandis qu’il descendait le long escalier sablonneux à flanc de falaise. Depuis que l’émissaire de Fenhrir lui avait amené le contrat en lui donnant rendez-vous une semaine plus tard en bordure du royaume, sur la rive de la rivière Palantine, Fleck était convaincu qu’il s’agissait d’un faux. Mais la Houpe avait confirmé la véracité du document. Intègre et hautement compétent, le grand-duc réglait les conflits de ceux qui venaient le voir, et tous acceptaient son expertise. Même lui ne pouvait pas remettre en cause sa conclusion. Et cependant « il ne PEUT PAS avoir validé ce document » restait la seule phrase qui tournait dans la tête du jeune roi. Quelle idée avait bien pu avoir son père en validant un tel contrat ?

**

Mirette se réveilla en sueur au milieu de la nuit. Sa truffe était sèche et sa langue pâteuse. Elle se secoua et sortit de sa chambre pour aller à la fontaine se rafraichir. En descendant l’escalier de pierre, elle entendit son père parler avec un de ses conseillers. La voix basse ne parvenait pas à masquer l’agacement et le ton menaçant utilisé par Fenhrir. Poussée par la curiosité Mirette prit le couloir adjacent sur la pointe des coussinets, toutes griffes rentrées et ses oreilles pointées en avant.

— Messire, je sais que nous avons déjà eu cette discussion, mais mon devoir est d’insister. Il y a tant de risque à envoyer Madame Mirette dans le désert. Elle pourrait recouvrer des souvenirs, rencontrer des personnes, trouver sa nature… Nous pourrions la perdre…

— Il suffit !

Fenhrir venait de grogner sa réponse plus que de la dire. Mirette recula instinctivement… mais la curiosité la rapprocha de nouveau de la porte.

— Nous avons déjà eu cette discussion ! Elle ne saurait se rappeler de souvenirs qui n’existent pas. Mirette est MA fille. C’est la princesse et la future reine du pays humide, elle le sait et je ne vois rien qui puisse la pousser à oublier cela. Et surtout pas un désert aride couvert de sable et peuplé de pleutres. Cette discussion est close, de même que l’amitié que je vous portais. Vous partirez demain pour les confins du pays.

— Je partirai au moins confiant d’avoir fait mon devoir, sire. Le reste vous appartient.

Mirette repartie tout en souplesse vers l’escalier qu’elle remonta prestement. Et finalement ça n’est pas tant la soif qui la tint éveillée, que la curiosité.

Le matin la trouva de fort mauvaise humeur. Le manque de sommeil la rendait systématiquement irritable, et la vue de ses sacs préparés la veille augmenta cette sensation. Elle brossa rageusement son pelage en pensant qu’elle allait bientôt rejoindre le désert et son futur mari, alors qu’elle n’aimait ni l’un ni l’autre.

La suite c’est par ici

By 16 September 2022.  No Comments on Chapitre 1  Désert