Fleck tournait en rond dans la salle aux colonnettes. Il avait fait porter un message à Mirette, lui demandant de le rejoindre à 10 h. L’heure était déjà dépassée largement et il ne savait comment interpréter ce retard, sans aucun doute volontaire. Il avait passé une partie de la matinée à réfléchir à la meilleure manière d’entamer la discussion, puis de passer quelques heures avec elle. Mais n’avait pas envisagé qu’elle ne vienne pas. « Ça part mal », pensait-il au moment où il la vit apparaitre par l’escalier du nord. Elle avait chargé ses oreilles de boucles scintillantes qui les faisaient retomber, ses yeux étaient soulignés d’un trait ocre. Un collier avec une pierre verte faisant ressortir ses yeux rehaussait une tenue faussement simple.
— Vous êtes particulièrement en beauté.
— …
— Je vous remercie d’être venue me voir.
Mirette ne disait pas un mot. Tout dans son attitude dénotait un énervement croissant.
— Bon, ça n’est pas simple pour moi.
— Pour moi non plus.
Les quatre mots frappèrent le roi plus fort qu’une gifle. Il continua tant bien que mal.
— On ne m’a pas vraiment appris à faire ça.
— …
— Je suis désolé de vous avoir ignoré depuis que vous êtes arrivés.
— C’est un début.
— Euh, j’étais, non, je suis toujours, en colère de ce contrat de mariage qui me lie à vous sans mon consentement.
— Je n’ai pas l’impression que ça soit vraiment des excuses de votre comportement.
— Non, je veux dire. Je suis désolé de mon comportement envers vous. Comprenez-moi. Je suis énervé de risquer de perdre une partie de mon pays, une partie essentielle, pour vous, par vous. Mais j’admets que vous n’êtes, pas plus que moi, responsable de cette situation et il est injuste de ma part de vous faire porter cette décision, en vous ignorant et vous invisibilisant aux yeux des miens. Si vous le permettez, j’aimerais qu’on reprenne sur des bases plus saines notre relation.
— Je ne sais pas. Votre attitude pourrait suffire, à elle seule, à me faire rompre le contrat. Sans que personne n’y trouve rien à redire. Vous ne voulez pas perdre La Palantine, mais vous avez tout fait pour…
Fleck se mordit la langue pour retenir une réponse cinglante, mais repris au contraire tout en douceur.
— Laissez-moi une chance, laissez-nous une chance. J’ai prévu de vous amener dans les recoins de la ville que Flibuste ne vous a pas encore montrés. Il y a beaucoup à découvrir ici.
Le fennec accompagna sa parole du geste et Mirette, après une hésitation savamment calculée, ouvrit la marche et continua la discussion sur le ton de la badinerie tandis qu’elle s’engageait dans le large couloir menant au hall d’entrée.
— Flibuste vous a parlé donc. Qu’a-t-il dit de moi ?
— Que vous gagniez à être connu, ma Dame.
— Son avis compte donc à vos yeux ?
— Bien sûr. C’est mon frère.
— Votre frère ?
— Oui. Par ma mère. Nous avons grandi ensemble. Il est généralement de bon conseil, même s’il a tendance à ne pas être très respectueux des règles. Regarde, nous allons monter sur la falaise de l’autre côté de la place. Je pense que tu as visité l’intérieur du palais, je vais te le montrer de dehors, sous le meilleur angle qui existe.
Mirette plongea avec délice ses pattes dans l’eau qui courait le long de la route. Et leva le regard vers l’endroit que lui montrait le fennec. Un escalier serpentait entre les maisons troglodytes. Un escalier ardu, taillé dans la roche, montant encore plus haut que ce qu’elle avait vu au palais de son enfance. Elle suivit le fennec dans la poussière rouge, se disant qu’elle avait eu raison de s’habiller légèrement. Fleck entendait les boucles de sa compagne tinter derrière lui tandis qu’il grimpait d’un pas léger les marches.
— J’espère que ça n’est pas trop dur, lui dit-il en se retournant à peine.
Pour toute réponse, il la vit le doubler par la droite, sautant avec souplesse sur les murs, griffés avant elle par ses congénères félins.
— Non ça va. Je t’attends en haut… Et elle éclata de rire.
Fleck comprit alors ce que son frère lui avait dit. Il y avait bien deux personnalités en elle. Le soleil arrivait au zénith quand il s’installa à côté de Mirette.
— Lorsque le soleil est au plus haut, il frappe la façade de plein fouet, révélant tous ses détails. C’est le moment que je préfère. Quand j’étais plus petit, je venais souvent me réfugier ici quand je perdais face à mon frère. C’est le territoire des caracals, les nobles félins du désert, ce chacal de Flibuste ne risquait pas d’y monter. Regarde, c’est le moment.
L’ombre cédait peu à peu la place au soleil, dévoilant l’ensemble des statues, la finesse des fenêtres, Mirette voyait les coursives qu’elle empruntait, ouvertes sur l’extérieur, et elle pouvait même deviner les chemins qui s’enfonçaient dans le cœur du palais.
— Où mène l’escalier de droite, celui qui monte terriblement ? Qui vit là-haut ?
— C’est l’antre du Grand-duc de la Houpe. Un érudit. Il a dans son nichoir tous les livres essentiels, des encyclopédies sur le pays, les textes écrits par les triples rongeurs pour raconter notre histoire, les liens entre les espèces… Il accueille les visiteurs uniquement la nuit. L’exception qu’il fait pour moi le rend de fort mauvaise humeur.
Les deux passèrent près de deux heures à décortiquer l’histoire et le détail de la façade. En redescendant, Fleck s’arrêta pour saluer un caracal aux poils et aux yeux blanchis qui les observait depuis le début.
— Bien le bonjour mon ami,
— Bien le bonjour, mon roi. Vous êtes revenus à votre poste d’observation, avec votre dame. Je suis flattée que vous ayez choisi une belle de mon espèce, quand bien même elle a grandi loin d’ici, pour être votre épouse.
— Bonjour à vous également monsieur. Je vous remercie pour le compliment, mais nous ne sommes que cousins. Je ne viens ni du désert ni de ces falaises.
— Je n’ai pas le cœur de vous contredire, madame répondit le vieil animal en s’inclinant.
Cette rencontre jeta un froid sur le caractère de Mirette, qui redescendit plus lourdement qu’elle n’était montée, et prit congé de son époux pour le reste de la journée.
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