La nouvelle de l’arrivée de son père avait tout d’abord redonné de l’énergie à Mirette, cette énergie s’était rapidement transformée en énervement, puis en rage à peine contenue à son arrivée au palais. Le voyage, tout autant que les nombreux morceaux de poulets donnés par ses convoyeurs, avait regonflé son moral et lui avait permis de mieux percevoir la situation dans laquelle elle, et Fleck se trouvaient. Elle avait convaincu les Boboins de l’amener cachée jusqu’à ses appartements, où Chacha eut la surprise de la voir sortir d’un sac, en guenilles, amochées et loin d’être propre.
— Ma Dame ! Je suis si heureux de vous voir ! Mais dans quel état êtes-vous ! Je vais prévenir le roi, faire venir le médecin…
— Non. La délégation de mon père est-elle déjà là ?
— Comment…
Quelqu’un frappa à la porte, intimant le silence.
— Laissez-moi entrer, je dois voir la reine.
C’était la voix de Flibuste derrière la porte.
— Comment peut-il être au courant que je suis là… Mirette avait parlé tout bas.
— C’est moi qui ai posté les Boboins aux rochers du désert. S’ils sont revenus, c’est que vous êtes là. Et si vous êtes là en secret, c’est que vous êtes aussi intelligente que je l’ai toujours pensé. Laissez-moi entrer, le temps presse.
D’un mouvement de tête, Mirette valida la requête et vit entrer le grand chacal, habillé de ses atours royaux. Flibuste était toujours habillé sobrement, mais il mettait dans les jours d’importance son pourtour noir à liseré rouge qui faisait ressortir, avec sa boucle d’oreille rouge, son côté carnassier. Il ne put retenir un mouvement de recul en voyant la jeune féline, et se précipita pourtant pour la prendre tout contre lui.
— Je suis tellement heureux que vous soyez vivante. Êtes-vous en bonne santé ?
— Et bien, je le crois. J’ai quelques contusions, et mon œil droit ne veut pas s’ouvrir en entier, j’ai perdu quelques touffes de poils, et je pense que je vais boire toute ma vie pour étancher ma soif.
Elle sourit. Malgré son air imposant, il transpirait de gentillesse envers elle.
— Je suis désolé de vous presser…
— Mon père est ici, je sais.
— Oui, il ne sait pas que vous aviez disparu, il est actuellement avec Fleck dans le grand salon, en train de palabrer de choses et d’autres avant d’arriver au point que tout le monde attend : votre absence. Je suis venue ici pour vous pressez de le rejoindre, mais je vous espérais en meilleure forme, dans votre état actuel, il vaut mieux que vous vous reposiez.
— Non. Allez-y, je vais venir. Mon père ne gagnera pas cette fois.
Flibuste fut étonné par le ton froid avec lequel elle avait fini sa phrase. Mais il ne put que s’incliner et sortir de la pièce pour la laisser se préparer.
Flibuste fut encore plus surpris que le roi lorsqu’elle entra dans la grande pièce. Bien sûr son œil était encore visiblement mal en point, mais ses plumeaux se dressaient bien droit, sa robe aux manches longues cachait la majorité de ses blessures, et il ne la voyait pas boiter. Elle s’approcha de son père qu’elle salua, et prit le plus naturellement du monde le bras du fennec, qui jouait moins bien qu’elle la comédie.
— Excusez-moi de mon retard, j’ai longtemps hésité à venir vous rejoindre avec le mal de tête qui me ronge, mais il s’est évaporé d’un coup. Je ne pensais pas que vous viendriez me rendre visite en ces terres arides, cher père. Il n’est pas dans votre nature de vous aventurer si loin avec autant de vos hommes.
Mirette avait embrassé la situation d’un seul regard. Son père était venu entouré de nombreux loups de la meute, bien trop pour une visite de courtoisie.
— Je suis venu dès que j’ai été informé qu’il ait été possible que vous ne vous sentiez pas bien dans ce palais. Et votre œil semble donner raison à mes inquiétudes…
— Mon œil ne mettra que quelques jours à guérir. Une mauvaise chute et des grains de sable mal placés ont suffi à lui donner cet aspect lamentable. Cela n’aurait pas dû vous faire faire ce long chemin. Je suis tout à fait bien traité par le roi et ses hommes. À vrai dire, je me plais assez en ces terres arides…
Fleck ne comprenait pas tout. Il était partagé entre le plaisir d’avoir retrouvé Mirette (il avait donc bien raison, elle n’était pas partie de son plein gré), l’envie de la harceler de questions et l’inquiétude toujours ancrée au fond de lui en présence de tous ces loups. La chaleur diffuse à son bras, là où elle était accrochée, ne l’aidait pas à réfléchir. Elle le quitta soudainement pour prendre le bras de son père et ils s’éloignèrent rapidement de lui. Il perdit immédiatement la confiance qu’il avait retrouvée quelques minutes avant.
— Venez père, venez voir la vue magnifique que nous avons d’ici sur la ville rouge. Et elle rajouta plus bas : nous pourrons parler entre nous.
— Ils ne nous entendent plus, j’ai la troupe avec moi, nous pouvons vous sortir d’ici et vous ramener à la maison. Mon Dieu, votre œil…
— Je ne veux pas partir. Je vous l’ai déjà dit, et écrit. Mais vous ne voulez rien entendre. Je croyais que je comptais à vos yeux plus qu’une terre. Vous avez mal joué, mon cher père. Je vous ai défendu, j’étais prête à assurer la paix entre ces royaumes, je vous avais même déjà pardonné pour ma mère et vous, vous, vous m’avez abandonnée… Sans même avoir le courage de faire la basse besogne par vous-même.
Le ton de Mirette avait monté, elle feulait à présent clairement sans s’inquiéter que quiconque les entende. Elle déversait toute la rage qu’elle avait accumulée lors de son errance dans le désert. Fenhrir, plus grand et plus fort, paraissait bien fragile face à elle. Il avait le regard d’un père inquiet pour la santé de sa fille.
— Je ne comprends pas. Je suis venu, dès que j’ai su que tu avais besoin d’aide, avec tous mes fidèles compagnons, comme tu me l’as demandé. J’ai fait au plus vite, je t’assure. À présent, il est temps de te sortir de là. Je n’ai qu’un mouvement d’oreille à faire, et la meute attaquera. Nous pourrons partir.
— Il suffit ! Je ne partirai pas d’ici ! Je vous l’ai dit et écrit, comment ne comprenez-vous pas !
— Non ! Tu m’as écrit que tu voulais rentrer au plus tôt au palais.
— C’est un mensonge, comme celui de ma mère, vous avez l’habitude.
Sans un mot de plus Fenhrir fouilla ses poches, en sortit un papier, visiblement lu et relu de nombreuses fois, et le tendit à sa fille. Rapidement, Mirette parcourut le document, et reprit plus bas.
— Je n’ai pas écrit ça. C’est vous qui m’avez demandé de venir vous rejoindre à la bordure du désert, en réponse à ma lettre où je vous disais que je savais pour ma mère.
Fleck, qui avait l’oreille fine comme tous les fennecs, se rapprochait doucement, conscient que la conversation ne se déroulait pas comme elle aurait dû.
— Sans vouloir m’immiscer… Votre fille souhaite rester auprès de moi, et c’est également mon plaisir de la garder ici. Votre inquiétude de père est bien naturelle, mais elle est, aujourd’hui, déplacée. Il semble qu’il y ait un malentendu… Mirette, tu n’as pas écrit cette lettre, tu n’as pas attiré les loups dans ma ville, n’est-ce pas ?
— Non, bien sûr que non.
Elle frissonna à l’idée qu’il ait pu penser cela.
— Et vous Fenhrir, vous n’avez pas demandé à Mirette de quitter ma ville ?
— Non.
— Alors qui a intérêt à ce que nous nous entretuions ?
Après un silence, Mirette fit tomber un nom.
— Varini.
— Non, c’est un faible.
— Tu l’as banni avant mon mariage. Il tient sa vengeance si je ne ressors pas du désert, et mieux encore, si tu ne rentres pas d’Artep.
— Je ne peux le croire. Il t’a toujours chéri. Il ne te ferait pas de mal. Et puis, comme sais-tu cela ?
— C’est lui qui m’attendait aux portes du désert pour me ramener auprès de toi. J’ai cru que tu l’avais envoyé. Quand j’ai refusé, il m’a assommé. Il vise ton trône.
— Et il t’aurait forcé à l’épouser. Il l’a toujours voulu.
Mirette eut un sursaut mêlant surprise et rejet. Fleck conclut l’échange d’une voix forte et sans hésitation.
— Alors les choses sont claires. Il faut retourner au plus vite dans votre forêt protéger votre trône. Je vous accompagne, ainsi que mes meilleures troupes. Nous sommes alliés, après tout.
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